#Philanthropie — 12.05.2015

La montée en puissance de l’impact social : un nouveau paradigme ?

Nathalie Sauvanet

L’impact social a le vent en poupe. S’assurer que les dons ont un impact social concret et opportun est une préoccupation qui gagne du terrain parmi les philanthropes du monde entier. Dans une récente enquête menée par BNP Paribas Wealth Management et Forbes auprès de plus de 400 philanthropes fortunés, 43 % de ceux qui débutent dans la philanthropie attendent un impact significatif en moins de 5 ans, alors que l'impact immédiat est de moindre importance pour plus de la moitié de leurs homologues expérimentés, qui sont prêts à attendre plus de 25 ans (http://tinyurl.com/nwwr8jv). Les clients que nous conseillons cherchent de plus en plus à intégrer l'impact social dans leurs stratégies philanthropiques. L'impact social sera-t-il à l’avenir le facteur déterminant pour les philanthropes ?

L’Australian Centre for Social Impact décrit l'impact social comme « une réflexion et une action orientées vers les résultats [...] qui contribuent à créer un changement positif, significatif et durable pour le bien de la société » (http://tinyurl.com/qx2bnn7). C’est l’accent permanent sur le résultat qui marque la rupture avec le passé. Plutôt que d’aider simplement ceux qui souffrent d'extrême pauvreté, par exemple, on devrait penser de manière constructive aux moyens de traiter les causes profondes de cette pauvreté et proposer des solutions. Le proverbe chinois, rendu célèbre par Gandhi, est souvent cité : « Qui donne un poisson à un homme le nourrit pour une journée ; qui lui apprend à pêcher le nourrit jusqu'à la fin de ses jours. » La montée en puissance de l'impact social peut être attribuée à la dynamique très concurrentielle du secteur caritatif. Alors que les organismes de bienfaisance luttent pour attirer les bailleurs de fonds, apporter une preuve tangible de votre impact social peut être un véritable facteur de différenciation, pour ne pas dire le justifier totalement ! Il témoigne également de l'influence croissante d’une philosophie d'affaires traditionnelle dans le secteur. Ces dernières années, nous avons assisté à une croissance exponentielle de l'impact investing (investissement lié à l’impact social) et à la venture philanthropy (modèle de philanthropie alliant financement et conseil), dont on trouve les racines dans le capital-risque et le capital-investissement. L'évaluation de l'impact social est de plus en plus répandue, avec des organisations telles que la European Venture Philanthropy Association (« EPVA ») dont le but est de standardiser les méthodes de mesure de l'impact afin d’en répandre son utilisation. Il n’est donc pas étonnant que l’EPVA ait été mise en place par des acteurs du secteur du capital-investissement. En 2010, la Social Finance au Royaume-Uni a émis le premier social impact bond (obligation à impact social), dont le but est de financer un programme de réhabilitation des détenus uniquement en cas d'atteinte des objectifs. Les fonds sont recueillis dès le départ auprès des investisseurs pour permettre au prestataire de services de mener à bien son programme. Les investisseurs seront remboursés par le gouvernement uniquement en cas de réussite.

Pour les hommes d’affaires, il semble à la fois logique et indispensable d’attendre de niveaux de performance élevés qui soient soutenus par des résultats concrets. Plus d'un tiers de nos clients, principalement des entrepreneurs, viennent nous voir avec un désir de changement réel. À la fois entrepreneurs et philanthropes, ou « philanthropreneurs », ils souhaitent mettre leurs connaissances du monde des affaires et leur énergie au service de leurs projets philanthropiques dans un désir d'en améliorer l'efficacité et de veiller à ce que les fonds soient utilisés à bon escient. Prenons l'exemple de Michael de Giorgio, qui dirige son œuvre de bienfaisance Greenhouse Charity comme une entreprise : résultats tangibles, évaluation de l'impact social et responsabilisation des donateurs. Certaines fondations vont même jusqu’à élargir leur mandat, en allouant non seulement des subventions, mais aussi en s’engageant dans des mission-related investments (investissements axés sur la mission) visant à atteindre des objectifs sociaux spécifiques tout en dégageant des rendements financiers. La fondation d'un client, qui finance l'innovation dans la lutte contre le cancer, a veillé à ce que 30 % de sa donation soit investie dans des sociétés biotechnologiques, principalement celles qui s’attèlent à trouver des solutions innovantes dans le diagnostic du cancer. La frontière entre activités à but non lucratif et à but lucratif est tenue, notamment du fait du nombre croissant d’entrepreneurs sociaux et de leur volonté d'aborder les questions sociales tout en bénéficiant d’un rendement financier. Nous avons récemment aidé un client entrepreneur, qui bien qu’il ne soit pas du tout au fait de toutes ces tendances, incarne parfaitement l'approche de l'impact social. Cette femme en question souhaite déployer un programme dans son pays d'origine afin de créer de l’emploi de manière durable, et pas seulement en apportant des fonds. Cette cliente a mis sur pied une plaque tournante pour les entrepreneurs sociaux et a réussi à susciter l'intérêt pour son fonds d'investissement lié à l’impact social centré en Afrique du Nord.

Pourtant, il est bon de rappeler que de nombreux philanthropes sont motivés par la passion et qu’ils soutiendront des causes auxquelles ils croient, même si l'impact est plus difficile à mesurer ou qu’il ne se manifestera probablement pas au cours de leur vie. Prenons l'exemple d'un grand patron de hedge fund avec qui nous avons travaillé. Il prend plaisir à sa philanthropie précisément parce qu'il n'existe pas de lignes directrices ou de règles contraignantes pour lui. Il donne en fonction de ses convictions profondes et à des organisations qu'il a rencontrées au cours de ses voyages. Selon notre expérience, il n'existe pas de modèle unique dans le monde de la philanthropie. Tout simplement parce qu’il n’existait pas d’évaluation formelle de l’impact par le passé, ce qui ne signifie pas que les dons stratégiques soient un concept tout nouveau. Après tout, selon Aristote : « Faire un don est une chose aisée à la portée de tout homme. Mais décider à qui donner, combien, quand, dans quel but et comment, n’est ni à la portée de tout homme, ni une chose aisée ».