#Stratégie d'investissement — 13.09.2019

BCE : Draghi, le bouquet final

Edouard Desbonnets

Pas de demi-mesure ! La BCE a décidé d’utiliser tous ses outils de politiques monétaires pour soutenir la croissance. Les marchés apprécient. Cependant, la BCE atteint peu à peu ses limites.

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Toile de fond

La BCE était fortement attendue aujourd’hui pour s’attaquer aux problèmes de croissance molle, d’inflation faible et d’inflation attendue en chute libre. Philip Lane, le nouveau chef économiste de la BCE depuis le mois de juin, entendait enrayer le mouvement par une combinaison de mesures puisque « les instruments ont été conçus pour être complémentaires et se renforcer mutuellement ». Le président, Mario Draghi, semblait aussi de cet avis. Cependant, certains présidents de banques centrales nationales, dont des poids lourds, affichaient leur scepticisme, ne voulant pas lâcher toutes leurs munitions d’un coup.

Trois instruments principaux et de multiples possibilités :

·         Le taux de  dépôt.  C’est le taux auquel les banques commerciales déposent leurs liquidités auprès de la banque centrale. Ce taux est négatif depuis juin 2014. Les banques payent donc pour placer leurs liquidités (7 milliards d’euros en 2018).

·         Le tiering (système de tranches) permettrait de soulager le système bancaire, fragilisé par le taux de dépôt négatif. Il s’agit de créer plusieurs tranches, comme c’est le cas en Suisse, au Danemark et au Japon. À chaque tranche est associé un taux. Ainsi, les banques payeraient une somme moindre qu’aujourd’hui (0,40% sur l’intégralité des sommes qu’elles déposent à la banque centrale).

·         Le Quantitative Easing (QE),  programme d’achat d’actifs. Le précédant incluait l’achat d’obligations d’État et d’entreprise et s’est achevé en décembre 2018

La décision

Le comité monétaire a finalement suivi les recommandations de son président et de son chef économiste. Un large ensemble de mesures de soutien à l’économie a été annoncé, même si certains petits détails ont déçu le marché.

·         Le taux de dépôt est baissé de 10 points de base à -0,50%, ce qui déçoit un peu le marché qui avait escompté 15 points de base de baisse. La BCE laisse toutefois la porte ouverte à plus de baisse si nécessité s’en faisait sentir.

·         La BCE instaure un système de tiering à la Suisse afin de ne pas fragiliser davantage le système bancaire.

·         La BCE promet de ne pas remonter les taux tant que les attentes d’inflation ne se rapprochent pas de l’objectif de 2%. Elle ne lie plus une remontée de taux à une date précise.

·         La BCE lance un nouveau QE, certes un peu moins ambitieux que ce qu’escomptait le marché (achats d’actifs pour 20 milliards d’euros par mois, contre 30 milliards attendus), mais sans date de fin ! Les détails ne sont pas connus, mais vraisemblablement, il concernerait les obligations d’État et d’entreprise.

·         La BCE assouplit les paramètres des TLTROs (prêts de la BCE aux banques) en baissant les taux et en allongeant les durées de 2 à 3 ans. Les banques qui prêteront à l’économie réelle pourront donc bénéficier de taux pouvant aller jusqu’à -0,50%.

La BCE pousse ses instruments monétaires jusqu’à leur limite. Il reste encore un peu de marge de manœuvre sur les taux grâce à l’instauration du tiering. Le QE pourra fonctionner encore plusieurs mois, mais se heurtera ensuite aux limites que la BCE a elle-même établies (pas plus de 33% de détention d’une émission obligataire pour ne pas disposer d’une minorité de blocage). En relevant cette limite, le QE pourra continuer plusieurs années. Les taux des TLTROs ont été abaissés, mais la demande de crédit n’est pas assez dynamique aujourd’hui.

À nouveau, Draghi appelle de ses vœux plus de politique fiscale pour soutenir l’économie. Nul doute que Christine Lagarde, qui prendra la succession de Draghi au 1er novembre, sera de cet avis

Les premières réactions de marché

Les rendements obligataires à long terme se sont fortement détendus. Le rendement du Bund allemand repasse sous les -0,60%. Ce sont les pays périphériques qui profitent le plus des annonces : les rendements italiens, espagnols, portugais et grecs baissent sensiblement. Le taux italien à 10 ans touche un plus bas historique à 0,78%.

Les obligations d’entreprise s’apprécient également grâce à l’annonce sur le QE.

Les marchés actions rebondissent. Le secteur bancaire reste à l’équilibre, saluant d’un côté le tiering, mais accusant de l’autre la baisse des rendements obligataires à long terme.

L’euro se déprécie contre le dollar, passant de 1,10 à 1,095.

Le taux swap inflation à 5 ans, qui mesure l’inflation attendue et donc la crédibilité de la banque centrale, stoppe sa chute et remonte de 1,22% à 1,31%.

Edouard Desbonnets

Spécialiste Fixed Income
BNP Paribas Wealth Management

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