#Stratégie d'investissement — 28.08.2018

Jackson Hole : rendez-vous des banquiers centraux et perspectives des politiques

Edouard Desbonnets

Jackson Hole n’a pas apporté de changement majeur en termes de politique monétaire. Les banques centrales resserrent leurs politiques à des rythmes très différents.

Pour l’anecdote, Jackson Hole, dans l’état du Wyoming est célèbre pour la Snake River qui attire les amateurs de pêche à la mouche. C’est ainsi que Paul Volcker, épris de pêche et président de la Réserve fédérale (Fed) à l’époque, s’est fait appâter en 1982 et a répondu présent à ce qui allait devenir un rendez-vous annuel majeur des banquiers centraux du monde entier, des économistes et de la presse financière.

Le thème de cette année, Evolution de la structure du marché et ses répercussions sur la politique monétaire, est comme toujours très académique. En revanche, le symposium se déroule cette fois-ci dans un contexte géopolitique inédit, entre tensions commerciales, crise dans certains pays émergents et critiques ouvertes du président Trump à l’encontre de la politique monétaire de la Fed. Cela nous offre une bonne occasion de passer en revue les perspectives des banques centrales.

La Fed

La Fed a été la première à amorcer une politique monétaire plus restrictive avec une première hausse de taux d’intérêt en décembre 2015, ce qui est logique vu que son économie est plus avancée dans le cycle. Avec une croissance au-delà de sa croissance potentielle et un taux de chômage au plus bas, l’inflation, aujourd’hui maitrisée, pourrait surprendre à la hausse demain. Powell (le président de la Fed) a insisté sur ce risque à Jackson Hole, tout en précisant qu’il ne voyait pas à l’heure actuelle de risque de surchauffe de l’économie.

De fait, Powell a répondu à Trump, sans le nommer, qu’il entendait poursuivre le cycle de hausse des taux. En effet, tout récemment, la Fed a fait face à des critiques ouvertes de la part du président Trump, qui, six mois après avoir nommé Powell, l’a ensuite accusé publiquement de ne pas l’aider en montant les taux. Cette ingérence n’a pas été appréciée des marchés car elle touche au principe d’indépendance de la Fed, mais par ses propos, Trump, qui est dans une démarche électoraliste, pointe déjà du doigt la Fed comme potentiel responsable de la prochaine crise. La Fed n’entend pas céder à la pression de la Maison Blanche et Powell prévoit d’augmenter les taux en septembre car l’état de santé de l’économie l’y invite. D’ailleurs le marché anticipe déjà une hausse de 25 points de base des taux directeurs à la prochaine réunion.

Le marché est plus divisé sur une hausse des taux en décembre, tout comme les membres de la Fed eux-mêmes d’ailleurs. Certains prônent une hausse des taux par anticipation d’une résurgence de l'inflation. D’autres pensent qu’il faut temporiser afin d’éviter une inversion de la courbe des taux, situation inconfortable où les taux d'intérêt à court terme deviennent plus élevés que les taux d'intérêt à long terme, ce qui est souvent annonciateur d’une récession 11 mois plus tard.

Etant donné la vigueur de l’économie américaine et le dynamisme du marché du travail, nous sommes dans le camp de ceux qui anticipent une nouvelle hausse des taux en décembre. Nous pensons également que la Fed pourrait monter ses taux encore deux fois l’année prochaine, pour les porter à 3%. Cela marquerait alors la fin du cycle de resserrement monétaire et coïnciderait avec une baisse de croissance de l’économie.

Quant à la politique quantitative, la Fed avait déjà annoncé un plan de réduction de son bilan, qui se ferait à un rythme progressif pré-annoncé et serait d’après l’ancien président de la Fed de New York aussi ennuyeux « que de regarder de la peinture sécher », autrement dit, sans impact majeur sur les marchés. Ce n’est certainement pas l’avis de certains pays émergents, qui se sont déclarés victimes du resserrement des liquidités en dollar et ont été contraints de monter leurs taux directeurs durant l’été pour éviter des fuites de capitaux. Ceci relance le débat de la portée de la Fed : doit-elle agir uniquement en tant que banque centrale des Etats-Unis ou se soucier des impacts qu’elle provoque dans d’autres pays ? Les membres du Congrès sont partagés. Quoi qu’il en soit, et peut-être pour éviter de lancer le débat, Powell n’a fait nulle mention de la réduction du bilan de la Fed à Jackson Hole.

La BCE

La BCE met progressivement fin à son programme de stimulus monétaire, maintenant que les craintes de déflation se sont dissipées. Draghi était absent à Jackson Hole, mais il avait déjà annoncé la feuille de route de la BCE en juin : elle poursuivra le programme d’achat d’actifs, au rythme de 30Md€ par mois jusqu’en septembre, puis 15Md€ jusqu’en décembre, avant de mettre fin au programme. En plus de ces montants, la BCE continue de réinvestir dans les actifs qui arrivent à maturité et qui sont de l’ordre de 10Md€ par mois. L’année prochaine, la BCE continuera de soutenir les marchés, mais uniquement via les réinvestissements des actifs qui arrivent à maturité. On peut estimer ces montants à 10-15Md€ par mois en 2019 et ils devraient continuer à être conséquents en 2020.

Quant à la hausse des taux, Draghi l’envisage pour après l’été 2019. Nous prévoyons donc une hausse du taux de dépôt de -0,40% à -0,20% en septembre 2019, suivie d’une hausse conjointe du taux de dépôt à 0% et du taux directeur à 0,25% en décembre 2019. A noter que trois membres sur les six du Directoire, y compris son président, termineront leur mandat en 2019, ce qui complique les projections.

La Banque du Japon (BoJ)

La BoJ est la dernière grande banque centrale à continuer un stimulus monétaire massif. Fin juillet, elle a confirmé vouloir continuer dans cette voie, faute d’inflation suffisamment soutenue. Les taux d'intérêt resteront bas pendant une période prolongée. Cependant, la BoJ a admis à demi-mot que sa politique avait des effets de bord négatifs sur certains segments de l’économie comme les banques et les assurances, et créait des distorsions sur les marchés. Aussi, elle s’autorise maintenant plus de flexibilité, tant sur son programme d’achats de fonds actions (ETF) que sur sa politique de maintien du taux à 10 ans autour de 0%. On peut considérer cette dernière mesure comme un petit pas qu’est en train de faire la BoJ vers une normalisation de la politique monétaire. Nous n’attendons pas de nouvelles décisions dans les prochains mois.

La Banque d’Angleterre (BoE)

Le gouverneur de la banque centrale a confié que le Brexit occupait 50% de son temps et à moins de sept mois de la date de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, l’incertitude domine encore. La hausse du taux directeur en août, 25 points de base à 0,75%, était anticipée par le marché, mais finalement peu comprise du fait de l’incertitude ambiante. Le comité monétaire l’a justifiée par de bonnes perspectives de croissance et par l’augmentation des capacités d’utilisation. Nous n’anticipons plus de hausse de taux dans les prochains mois. La BoE pourrait devenir plus réactive à l’approche de la date fatidique.