Repositionnement sectoriel en faveur du style ‘Value’

EN UN MOT :
· Depuis la crise de 2008-2009, le volet ‘Croissance’ a écrasé de manière spectaculaire le segment ‘Valeur’ en termes de performance relative. Il y a un certain nombre de raisons à cela, la principale étant sans doute la baisse marquée des taux d’intérêt sous l’effet du ralentissement de la croissance, d’une inflation atone et des assouplissements monétaires persistants.
· le volet des actions de Valeur renferme davantage d’entreprises cycliques qui, sur une base relative, se montrent moins performantes lorsque l’économie ralentit et lorsque des indicateurs comme la confiance des directeurs d’achat (les indices ‘PMI ‘ ou ‘ISM’) sont en déclin. Et à côté de cela, la plupart des secteurs de valeur sont sujets aux disruptions
· Une reprise structurelle de la croissance, une hausse durable des taux d’intérêt, de l’inflation et une repentification de la courbe des rendements: voilà ce dont nous avons besoin pour renverser cette tendance qui remonte à de nombreuses années. Il est peut-être encore un peu trop tôt pour en conclure que ce moment est venu, du moins de manière structurelle, mais les actions de valeur ont rarement été aussi bon marché d’un point de vue relatif.
· Compte tenu de l'amélioration du sentiment mais des incertitudes persistantes, il est préférable d'être sélectif. Nous trouvons de la valeur dans les financières américaines et dans l’assurance globalement, ainsi que dans la technologie et les matériaux de construction européens. D'autre part, nous restons prudents en ce qui concerne les produits de consommation courante et les produits industriels, car ils ne sont pas bon marché.

Si l’on se représente le marché des actions comme une tarte, on peut imaginer différentes manières de le découper. Une méthode très répandue consiste à diviser la tarte en un morceau ‘Value’ (actions de valeur, donc relativement bon marché et souvent avec un dividende élevé) et un morceau ‘Growth’ (actions de croissance). Or, depuis la crise de 2008-2009, le volet ‘Croissance’ a écrasé de manière spectaculaire le segment ‘Valeur’ en termes de performance relative.
Il y a un certain nombre de raisons à cela, la principale étant sans doute la baisse marquée des taux d’intérêt sous l’effet du ralentissement de la croissance, d’une inflation atone et des assouplissements monétaires persistants. C’est vrai en particulier pour l’Europe, où les valeurs financières représentent une part substantielle des indices. Et la faiblesse des taux d’intérêt n’est pas bonne pour le secteur financier…
A cela s’ajoute le fait que les actions de croissance attendent par définition une grande part de leurs cashflows et bénéfices dans le futur. Les modèles financiers discomptent le futur à une valeur actuelle. Toutefois, un taux d’escompte inférieur – et le taux d’escompte est lié aux taux d’intérêt – augmente la valeur actuelle de ce futur, ce qui constitue une autre raison pour laquelle les actions de croissance sont relativement plus attrayantes que les actions de valeur lorsque les taux d’intérêt sont bas ou en baisse.
Par ailleurs, le volet des actions de valeur renferme davantage d’entreprises cycliques qui, sur une base relative, se montrent moins performantes lorsque l’économie ralentit et lorsque des indicateurs comme la confiance des directeurs d’achat (les indices ‘PMI ‘ ou ‘ISM’) sont en déclin.
Enfin, Mister Market est souvent disposé à payer plus pour la croissance lorsque celle-ci se fait rare. Un mécanisme que l’on peut dans une certaine mesure comparer à celui d’un phénomène de mode.
Remontée prudente des actions de valeur
Depuis mi-août, les actions de valeur ont amorcé un mouvement de rattrapage auquel la récente remontée des rendements obligataires - après leur repli abrupt du début de l’été - et les politiques monétaires de nouveau laxistes en vue de relancer l’économie ne sont certainement pas étrangères.
Une reprise structurelle de la croissance, une hausse durable des taux d’intérêt, de l’inflation et une repentification de la courbe des rendements: voilà ce dont nous avons besoin pour renverser cette tendance qui remonte à de nombreuses années. Il est peut-être encore un peu trop tôt pour en conclure que ce moment est venu, du moins de manière structurelle, mais les actions de valeur ont rarement été aussi bon marché d’un point de vue relatif. Si l’on observe les indices MSCI mondiaux, l’indice de croissance affiche un ratio cours-bénéfice attendu pour 2019 de 21.12 et celui des actions de valeur : 12.84. Nous sommes donc en présence d’une prime d’environ 65%. Cette prime pendant l’été avait même dépassé les 80% ! Les ratios cours/valeur comptable montrent un écart encore plus élevé : 4.56 pour le style croissance et 1.67 pour le style valeur. Il n’y a qu’au paroxysme de la bulle Internet que l’on a observé une prime plus élevée du ratio cours/bénéfice : 92% à l’époque. Et c’était juste avant que le compartiment de valeur ne laisse entrevoir une surperformance spectaculaire…
Bon marché pour de bonnes raisons
Cependant, en marge des catalyseurs de nature ‘top-down’, il existe aussi dans une perspective "bottom-up" un certain nombre de raisons spécifiques s’apparentant aux secteurs qui font que les actions de valeur traversent ces derniers temps une période difficile. Les actions cycliques souffrent du ralentissement de la croissance. Quant aux valeurs financières, elles rencontrent des difficultés dans un environnement fait de taux d’intérêt bas, voire négatifs, en particulier lorsque la courbe des rendements est (trop) plate. Des normes, exigences et contrôles de plus en plus stricts ont aussi augmenté structurellement les coûts des banques.
Et à côté de cela, la plupart des secteurs de valeur sont sujets aux disruptions: la digitalisation et autres technologies financières dans le secteur financier, la publicité en ligne et le commerce électronique dans le domaine des médias et du commerce de détail, ou encore, dans le secteur automobile et énergétique, le durcissement des normes d’émissions et l’incertitude qui plane sur la révolution des véhicules électriques et autonomes.
Le mot d’ordre: sélectivité
Vu les incertitudes encore ambiantes, il vaut mieux faire preuve de sélectivité. D’emblée toutefois, le secteur cyclique globalement le moins cher et qui saute aux yeux est les Financières (notre recommandation est passée de = à +). Le ratio cours/ bénéfices 2019 du secteur est globalement de 11.3 (pour rappel : 12.84 pour l’indice MSCI Global Value). Les résultats du T3-19 et la santé des grandes banques américaines et autres Financières US sont fort encourageants, d’où notre recommandation positive. Il en va de même pour le solide secteur des Assurances (recommandation également positive) aux Etats-Unis et en Europe. Quoiqu’une certaine sélectivité y est préférable, de manière générale, les actions des assureurs sont peu chères; les dernières publications de résultats furent fort bonnes, surtout en Europe, et les dividendes restent attrayants.
Nous gardons notre recommandation sur les Banques européennes à neutre car 1. La croissance et l’inflation en Europe restent faibles, 2. Beaucoup de banques en Europe sont encore fragiles, 3. Les taux d’intérêt (de refinancement) négatifs vont encore heurter le secteur pendant longtemps, 4. Les nouvelles règlementations sont relativement lourdes et contraignantes, 5. Tendances à perdre des parts de marché notamment dans la banque d’investissements vis-à-vis des banques américaines, 6. Incertitudes liées au Brexit (un vent surtout contraire pour les banques UK qui devraient perdre des parts de marchés face aux banques de la zone euro), 7. Coûts de la digitalisation, 8.Dans le nord de l’Europe : scandales de banques impliquées dans des affaires de blanchiment d’argent nuisant à la réputation du secteur. Cependant, certaines banques devraient tirer leur épingle du jeu, en particulier les banques les plus solides (bien capitalisées) et qui opèrent sur un marché déjà bien consolidé. Il s’agit surtout des grandes banques du cœur de la zone euro (France, Pays-Bas, Belgique). Nous redeviendrions positifs plus globalement en Europe si la reprise économique venait à s’accélérer, par exemple en cas de plans de relance majeurs, en particulier en Allemagne.
Nous recommandons aussi de temporiser quelque peu sur le secteur de l’Immobilier après ses bonnes performances jusqu’ici en 2019 (la recommandation est passée de positive à neutre).
Mais comme évoqué ci-dessus, une certaine disruption technologique perturbe le secteur financier. Pourquoi dès lors ne pas carrément profiter des valorisations relativement basses des Technologiques européennes (recommandation positive) vis-à-vis de leurs consœurs américaines et même parfois en absolu au vu de l’embellie cyclique mais aussi de la part croissante que prend ce secteur dans l’économie? En outre, la plupart de ces sociétés ont annoncé des bons résultats pour le T3-19 et des perspectives encourageantes.
Dans tous les cas, une industrie qui reste intéressante et moins touchée par la disruption est les Matériaux de Construction. Il s’agit en effet généralement d’entreprises locales; un achat de sac de ciment ou une palette de briques n’est pas prêt de se faire sur Amazon ! De plus, ce secteur pourra sans aucun doute tirer profit de l’intensification des investissements des pouvoirs publics en faveur de travaux d’infrastructure. Après la situation de sous-investissement qui persiste depuis de longues années dans ce segment, un mouvement de rattrapage devrait s’amorcer. Et si les pouvoirs publics en question mettent les bouchées doubles pour contrer un éventuel nouveau ralentissement de l’économie, ce mouvement n’en sera que plus marqué. Mario Draghi lui-même ne disait-il pas que c’est à présent aux pouvoirs publics de stimuler l’économie? Madame Lagarde semble aussi appuyer cette vue. Nous favorisons ainsi les Matériaux de Construction en Europe (recommandation positive), qui ont de manière générale annoncé des bons résultats pour le 3T-19 et qui traitent à des niveaux de valorisation raisonnables, comparé à d’autres valeurs industrielles en Europe mais aussi aux Etats-Unis, plus chères. On constate aussi que les coûts sont plutôt bien maîtrisés dans le secteur, disposant un outre d’un certain pouvoir de fixation des prix vis-à-vis des clients.
Nous restons un peu plus dubitatifs quant au secteur des Energies fossiles (neutre) même s’il est bon marché. La transition énergétique va continuer à faire pression sur la demande et forcer les Majors pétroliers à se restructurer, maintenant par corollaire une certaine pression sur leurs fournisseurs (services pétroliers). Les investissements en faveur de l’environnement connaissent un essor vigoureux, ce qui pourrait par contre profiter à quelques-unes des entreprises industrielles/ de services aux collectivités de premier plan, surtout en Europe.
Dans les secteurs de l’Industrie et de la Consommation cyclique, on peut certainement trouver l’une ou l’autre opportunité d’action encore décotée. Mais de manière générale, ces secteurs ne sont pas bon marché et/ ou doivent affronter encore de nombreuses disruptions, ce qui les rend moyennement attractifs. Nous nous intéressons toutefois à certaines sociétés actives dans le business du transport, de l’automobile et du voyage.
Rappelons enfin que le secteur le plus inversement corrélé à la reprise économique est les Biens de Consommation de base, en outre encore fort cher aujourd’hui. D’où notre recommandation négative sur ce secteur.
Autant d’idées d’investissement à envisager d’ici à ce que la grande vague de valeur déferle sur le marché et mette en branle tous les bateaux de valeur, même ceux qui semblent aujourd’hui quelque peu enlisés…