#Stratégie d'investissement — 14.04.2020

Emergence des spécificités régionales face aux turbulences de la Covid-19

Entretien avec Yuri Bender, Editeur en Chef, Professional Wealth Management au Financial Times

Alors que les clients européens et du Moyen-Orient ont tendance à investir à long terme et achètent des actions, Rémi Frank, responsable Key Client Group de BNP Paribas Wealth Management, rapporte que les investisseurs asiatiques, qui ont une vision davantage court-termiste, réagissent très différemment.

Rémi Frank

Global Head of the Key Client Group
BNP Paribas Wealth Management

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Alors que les clients de banque privée les plus riches du monde sont connus pour leurs approches rationnelles et sophistiquées des chocs économiques, les prémisses de la crise mondiale liée au coronavirus montrent des divergences culturelles et régionales. Les investisseurs doivent également arbitrer entre répondre aux problématiques business auxquelles ils font face dans leur entreprise et gérer leurs portefeuilles d’investissement.

« Au niveau régional, nous observons de nombreuses différences de comportements », explique Rémi Frank, responsable Key Client Group de BNP Paribas Wealth Management, qui possède d'importants centres de Banque Privée en Europe continentale tels qu’en France, en Belgique, au Luxembourg, en Italie, en Espagne et en Allemagne mais également aux États-Unis et en Asie.

« En Europe, les investisseurs adoptent une vision à plus long terme, ce qui signifie que nos clients sont actuellement acheteurs plutôt que vendeurs», précise M. Frank. « Certains de leurs titres et actifs ont peut-être perdu de la valeur, mais ils en ont profité pour se refinancer, en se renforcant davantage dans leurs investissements existant. C'est un phénomène assez classique observé à travers toute l'Europe. »

Les clients d'Europe de l'Est et du Moyen-Orient, qui vendaient activement de nombreux titres lors de la première quinzaine du mois de mars, lorsque les marchés ont commencé à être effrayés par l'impact du virus, ont également commencé à réapprovisionner leurs portefeuilles.

VISION COURT-TERMISTE

Mais les clients asiatiques ne suivent pas nécessairement ces modèles. « L'Asie est très différente, car moins de clients ont une vision à long terme » ,suggère M. Frank, avec de nombreux clients suivant les tendances des marchés de Futures de la veille avant de trader à court terme.

« En Asie, tous nos clients sont des entrepreneurs, ils sont tous propriétaires d'entreprises et leur vision à long terme se reflète dans leur entreprise. La gestion de leurs portefeuilles a un horizon beaucoup plus court. »

Pour certains entrepreneurs, les défis opérationnels quotidiens auxquels ils font face surpassent actuellement toute vélleité d’investissement. De nombreux clients familiaux fortunés de BNP Paribas opèrent dans les secteurs de l'hôtellerie et du tourisme et doivent résoudre d'énormes problèmes pratiques dans la crise actuelle sur la façon de gérer leurs propriétés et leur personnel, laissant peu de temps à consacrer à leurs portefeuilles d'investissement.

«Ils sont encore plus occupés aujourd'hui qu'en période de fonctionnement normal», explique M. Frank, qui supervise près de 40% des actifs gérés par Wealth Management 393 Md €.

STABILITÉ

À bien des égards, les secteurs de la banque et de la gestion de patrimoine sont mieux préparés à cette crise que d'autres secteurs de l'économie. Alors que des entreprises comme BNP Paribas ont fait du digital une priorité, en regroupant des employés de différentes équipes dans des pôles d'innovation et en invitant des clients à co-développer des solutions digitales, ils peuvent également compter sur l’appui des autorités règlementaires.

La banque française, qui compte plus de 200 000 employés dans le monde, est depuis longtemps tenue par les régulateurs de mettre en place des plans de continuité d’activité réalistes pour faire face aux crises. « Cela signifie que nous sommes désormais mieux organisés que certains clients qui ne peuvent plus accéder à leurs bureaux », explique M. Frank. « Ils ont dû élaborer des plans d'urgence à partir de zéro. »

Cela place les banques et les sociétés de gestion de patrimoine dans une position unique où elles peuvent aider leurs clients à résoudre leurs problématiques business en sus de la gestion de leurs portefeuilles.

REPENSER LA TECHNOLOGIE

Mais la crise peut aussi être un moment de réflexion et de réévaluation pour les gestionnaires de fortune. BNP Paribas réorientera probablement certaines de ses innovations qu'elle a été si désireuse de promouvoir au cours des trois dernières années. Alors que l'application Leaders Connection a été conçue spécifiquement pour connecter entre elles les familles issues de différentes juridictions – généralement de continents différents - qui souhaitent coopérer sur des projets d'investissement, ses ambitions initiales mondiales sont maintenant revues à l'échelle locale pour correspondre aux besoins de ses clients.

« Il semble que les clients préfèrent conclure des accords avec des familles qu'ils connaissent déjà », admet M. Frank.

La crise a également amplifié une tendance de long terme vers le private equity. Les clients de la banque qui ont investi principalement dans des actions cotées ont subi des pertes de l’ordre de 25 pour cent depuis mars. Mais la plupart des lignes d'investissements en private equity auront leur date d’évaluation dans trois mois. « Cela vous donne plus de temps pour digérer ce qui s'est passé », dit-il.

Répondre aux besoins des clients en matière de digitalisation, d'exposition au Private Equity et de mise en relation avec d'autres familles riches sont les principaux défis auxquels ont dû faire face les banques privées mondiales dans la décennie qui a suivi la crise financière mondiale. La façon dont elles ont relevé ces challenges pourrait redéfinir le rôle qu'elles joueront pendant cette crise sanitaire et au-delà.