Tourisme: la fin d'un modèle
Devenu un must de nos sociétés de consommation, le tourisme a été touché de plein fouet par la crise du coronavirus.

Les 30 glorieuses
Le chiffre d’affaires du tourisme pourrait se contracter de 60 à 80% cette année. Un vrai cataclysme puisqu’il représente à lui seul 10% du PIB et 12% des emplois du monde. Alors qu’on estimait les touristes mondiaux à environ 25 millions en 1950, ils étaient plus de 1 milliard en 2013. Un tourisme qui, pour se rendre accessible au plus grand nombre, a polarisé ses activités et favorisé des pratiques irrespectueuses des écosystèmes locaux. En 2018, le tourisme représentait ainsi 8% des émissions de CO2 mondiales. D’économique, le tourisme se transforme-t-il en luxe environnemental ?
« Etre » en vacances
Aussi anxiogènes qu’elles furent, la fermeture des frontières et la limitation de notre mobilité, au cours du printemps dernier, ont rendu à beaucoup d’entre nous la mesure de l’échelle humaine mais aussi le besoin de se nourrir de ce qui était à portée de main ou des yeux. Balades quotidiennes dans nos villages, à pied, à vélo; emplettes chez les commerçants locaux; (re)découvertes de notre patrimoine local, …. Dans cette immobilité forcée, le temps a retrouvé le pouvoir de s’égrainer goutte à goutte et nos esprits celui de le regarder filer en toute simplicité. Dès lors, lorsque les frontières se sont rouvertes et le sacro-saint exode extraterritorial est redevenu possible, bon nombre d’entre nous se sont interrogés sur la nécessité de partir pour se retrouver.
Miracle environnemental ou catastrophe économique ?
Nous avons tous vu ces images de la lagune vénitienne rendue aux Vénitiens et redevenue transparente pour l’occasion. Car outre une conscience plus aigüe de nos patrimoines locaux, le coronavirus a indéniablement mis fin de manière brutale au tourisme de masse et polluant qui avait offert au secteur une croissance ininterrompue au cours de 25 dernières années. Mais outre cette résilience des écosystèmes, les conséquences économiques de cette paralysie restent majeures et tous les pays ne sont pas égaux face à ce choc. Alors que le tourisme ne représente que 7% du PIB français, dans des pays moins riches comme l’Espagne ou l’Italie, il frôle les 12 à 13%. Une fragilité qui les condamne inéluctablement à privilégier la masse. Avec un autre revers de taille : le CO2 importé par cette activité. Aux Maldives ou aux Seychelles, deux des destinations les plus prisées au monde, le tourisme représente entre 30 et 80% des émissions de CO2 nationales.
La fin d’un modèle
En novembre 2019, la plus ancienne agence de voyage au monde, Thomas Cook, déposait le bilan après près de 200 ans d’existence. La compagnie n’a pas résisté à la concurrence des sites en ligne et à l’autonomie croissante des consommateurs dans la planification de leurs voyages. L’essor et l’accès aisés aux plateformes comme Airbnb ou de locations de particuliers à particuliers a provoqué une flambée des prix immobiliers dans de nombreuses métropoles mondiales. Par ailleurs, elles ont rendu le modèle all inclusive moins attractif et la plupart des agences de voyages adossées à des compagnies aériennes doivent rivaliser avec des rivales low cost habituées au dumping social.
Des enjeux mondiaux
Même si l’essor des compagnies aériennes et des croisières low cost a favorisé des pratiques de transhumances irresponsables, le tourisme reste un luxe minoritaire pour l’ensemble de la planète. On estime que 95% de la population mondiale n’a jamais pris l’avion et à peine 10% des américains disent voyager à l’étranger contre 25% des Français. Même si l’augmentation de la population mondiale relativise ces pourcentages chaque année à la hausse, le véritable essor du tourisme est avant tout une conséquence de l’essor de la classe moyenne, en particulier dans des pays en développement comme la Chine. Par ailleurs, au-delà de la masse, la nature du tourisme s’est considérablement élargie : outre les voyages d’affaires dont les outils semi remote ont récemment démontré, cela dit, la nécessité toute relative, la mondialisation a favorisé l’élargissement géographique de nos cellules familiales, imposant l’émergence d’un tourisme beaucoup plus identitaire que par le passé. Un phénomène qui n’est pas prêt de s’arrêter et condamne donc le secteur à embrasser des enjeux durables dès à présent.
Des enjeux de taille
Afin d’embrasser l’ensemble des enjeux durables qui concernent le tourisme mondial, l’OMT (Organisation Mondiale du Tourisme) a mis en place un programme pour favoriser le tourisme durable intitulé « One Planet ». Son but est de développer « un tourisme qui tient pleinement compte de ses impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d’accueil ».
Pour ce faire, il définit trois piliers qui sont en lien direct avec les 17 objectifs de développement durable des Nations Unies :
1. Optimaliser l’exploitation des ressources de l'environnement en tant qu’élément clé de la vie touristique, en préservant l’environnement, les ressources naturelles et la biodiversité locales;
2. Respecter l'authenticité socioculturelle des communautés d'accueil, (bâtis, vivants et valeurs traditionnelles) et contribuer à l'entente et à la tolérance interculturelles ;
3. Assurer une sécurité socio-économique viable sur le long terme offrant à toutes les parties prenantes (emplois stables, bénéfices, services sociaux pour les communautés d'accueil) et réduire la pauvreté.
De nouveaux enjeux que nos retraites forcées des derniers mois devraient nous aider à méditer.
