#Investissements — 12.09.2016

La Suisse à l’heure de l’échange automatique de renseignements

Samuel Favre

Il n y a pas si longtemps, la Suisse était encore considérée comme une forteresse imprenable, dont le secret bancaire permettait de refuser toutes demandes d’entraide administrative formulées par des autorités étrangères au sujet de contribuables indélicats avec leur propre fisc. Seule la fraude fiscale, impliquant un faux dans les titres (un faux bilan ou l’émission de fausses factures par exemple), permettait dans certains cas d’obtenir de la part des autorités helvétiques des informations bancaires étayées.

Tout cela a cessé à la fin des années 2000. La crise des « subprimes », la chute de Lehman Brothers et surtout les interventions des différents Etats visant à sauver le système financier international ont eu raison, petit à petit, du secret bancaire helvétique.

L’OCDE, en défenseur de la transparence fiscale internationale, s’est lancée dans une opération contraignant les places bancaires et financières à adapter leurs conventions fiscales à la norme internationale en matière d’assistance administrative afin de permettre un échange de renseignements à la demande d’un Etat qui ne serait plus entravé par le secret bancaire.

Même les paradis fiscaux qui ne disposaient d’aucun réseau de conventions fiscales se sont mis à signer avec d’autres pays des accords visant l’échange de renseignements sur demande. Ne pas se conformer aux recommandations de l’OCDE revenait à figurer sur une liste noire ou grise, avec des conséquences potentielles sur les plans économique, fiscal et réputationnel.

Le 13 mars 2009, la Suisse a totalement retiré sa réserve formulée à l’égard de l’art. 26 du Modèle OCDE

Depuis 2009 donc, la Suisse a commencé à renégocier les conventions fiscales avec ses partenaires afin d’adapter les dispositions traitant de l’échange de renseignements sur demande à des fins fiscales et lever la réserve importante à l’art. 26 al. 5 du Modèle OCDE (cette réserve considérait en effet  que le secret bancaire constituait une exception au principe de l’échange de renseignements pour la bonne application d’une Convention).

Dès lors, une demande d’assistance administrative peut être formulée par un Etat étranger et adressée aux autorités helvétiques (en l’occurrence l’Administration Fédérale des Contributions, ci-après « AFC ») pour des cas de simple soustraction fiscale (et non plus de fraude). Pour être recevable, la requête doit comprendre des informations telles que l'identité de la personne concernée, l'indication des renseignements recherchés ou encore le but fiscal dans lequel ces renseignements sont demandés. Les demandes doivent par conséquent être précises et les informations requises « vraisemblablement » pertinentes pour appliquer les dispositions de la Convention ou pour l’application des législations internes relatives aux impôts de toute nature. Toute pêche aux renseignements (« fishing expedition » en anglais), vague et imprécise, demeure formellement exclue.

A l’heure qu’il est, la Suisse a signé 53 conventions contre les doubles impositions selon la nouvelle norme internationale, dont 46 sont en vigueur et 10 accords d'échange de renseignements fiscaux, dont 7 sont en vigueur. A noter également que le 26 juillet dernier, le Forum mondial a attribué à la Suisse, à l’issue de son examen par les pairs, la note globale « conforme pour l’essentiel » au standard international en matière d’échange de renseignements.
 

Vers les demandes groupées

Depuis 2013, sont également possibles les demandes groupées, visant, comme leur nom l’indique, un groupe de contribuables résidents dans un pays tiers, identifiés sur la base d’un « modèle de comportement identique défini à l’aide de données précises ». La première demande d’entraide groupée adressée à la Suisse sous l’égide de la loi révisée sur l’assistance administrative en matière fiscale (LAAF) remonte à juillet 2015 et provient des Pays-Bas.

Elle visait à obtenir des informations sur toutes les personnes domiciliées aux Pays-Bas qui avaient disposé d’un compte auprès d’une banque helvétique déterminée entre le 1er février 2013 et le 31 décembre 2014, et qui n’auraient pas fourni à cette banque les preuves de conformité fiscale qui leur étaient demandées. Pour le moment, l’échange de renseignements, dans un premier temps accordé par l’AFC, a été suspendu suite à une décision rendue par le Tribunal administratif fédéral dans le cadre d’un recours formulé par un résident hollandais visé par la demande d’entraide. Ce jugement peut néanmoins encore être contesté devant le Tribunal fédéral et ce dernier aura la lourde tâche de trancher en établissant une jurisprudence de principe lourde de conséquences.
 

A la veille de l’échange automatique

D’abord réfractaire à l’idée d’un échange automatique d’informations, la Suisse a dû s’adapter à l’évolution du contexte international. De l’échange de renseignements sur demande sur la base des conventions fiscales bilatérales à un échange automatique des données bancaires, il n’y avait plus qu’un pas à franchir.

Il faut attendre avril 2013  pour que les ministres des Finances et gouverneurs de banques centrales du G20 approuvent l’échange automatique en tant que nouvelle norme internationale afin de lutter contre la soustraction d’impôt sur le plan international. Quelques mois plus tard, en octobre 2014, une centaine d’Etats (dont la Suisse) ont déclaré vouloir adopter cette nouvelle norme.

Ainsi, la Suisse s’est engagée à procéder aux premiers échanges de renseignements en 2018 concernant les données récoltées en 2017, sous réserve de l’approbation définitive de ces normes selon les règles de droit interne.
 

Mise en œuvre

La mise en œuvre de l’échange automatique de renseignements (ci-après « EAR ») peut se faire par le biais d’un traité bilatéral ou sur la base de l’Accord multilatéral entre autorités compétentes concernant l’échange automatique de renseignements relatifs aux comptes financiers (« Multilateral Competent Authority Agreement » – ci-après « MCAA ») que la Suisse a signé le 19 novembre 2014. Dans ce deuxième cas de figure, l’échange automatique doit être activé de façon bilatérale entre les Etats signataires via une notification au Secrétariat de l’organe de coordination du MCAA. La seule signature du MCAA n’est en soi pas suffisante.
 

Avec qui ?

Pour l’heure, la Suisse a signé un accord visant à introduire la norme internationale régissant l’EAR avec l’Union Européenne (qui vise à remplacer l’accord existant sur la fiscalité de l’épargne). Des déclarations politiques communes fondées sur le MCAA et visant à introduire l’échange automatique de renseignements en matière fiscale sur une base réciproque ont également été signées avec l’Australie, le Canada, la Corée du Sud, Guernesey, l’Ile de Man, l’Islande, le Japon, Jersey et la Norvège. Ces différents dossiers doivent encore être soumis aux Chambre fédérales pour approbation.
 

Quelles informations ?

La norme est applicable tant aux personnes physiques qu’aux personnes morales. Les renseignements à transmettre comprennent les informations suivantes :

  • Numéro du(des) compte(s)
  • Nom, adresse, date de naissance
  • Numéro d’identification fiscale
  • Intérêts, dividendes
  • Revenus de certains contrats d’assurance
  • Solde du compte
  • Revenus provenant de la vente d’actifs financiers
     

En pratique

Les banques suisses commenceront à collecter les informations citées plus haut à partir de 2017 et les communiqueront à l’AFC en 2018. Cette dernière les échangera d’ici au 30 septembre 2018 avec les autorités fiscales étrangères des pays avec lesquels un traité bilatéral existe ou sur la base du MCAA et de la notification ad-hoc au Secrétariat de l’organe de coordination du MCAA.

Les dix dernières années ont été déterminantes pour la place bancaire suisse. Cette dernière a su s’adapter à une évolution constante des standards internationaux et se prépare activement à l’échange automatique d’informations dès 2018. Les Etablissements bancaires helvétiques sont à pied d’œuvre afin de garantir une application rigoureuse de ces standards tout en continuant à offrir à leurs clients internationaux des services à haute valeur ajoutée en termes de gestion d’actifs, de conseils d’investissements et d’ingénierie patrimoniale. Autant de défis à relever pour la Banque d’un monde qui change.