Forte baisse de la livre turque : quelle est la prochaine étape ?
L'augmentation des déficits publics et extérieurs a fait chuter la livre ces dernières années. Les derniers jours, la monnaie s’est dépréciée davantage en raison des tensions avec les États-Unis et des sanctions qui en ont découlé.
Raisons des faiblesses structurelles
Les inquiétudes des investisseurs liées à l'économie turque ne sont pas nouvelles. Les investisseurs ont signalé les faiblesses macroéconomiques depuis plusieurs trimestres et la livre turque était déjà l’une des devises les moins performantes cette année avant même que les tensions n’augmentent entre les États-Unis et la Turquie. En effet, la croissance économique impressionnante de la Turquie au cours des dernières années a été stimulée par des conditions de crédit faciles, des taux d'intérêts bas et d'importants plans de dépenses publiques. Cette dépendance à l'égard du crédit pour stimuler la croissance économique a engendré des faiblesses macroéconomiques, en creusant en particulier le double déficit. Des plans de dépenses importants ont accru le déficit public du pays, tandis que la facilité d'accès au crédit a conduit à une augmentation de la demande pour les biens et services, accroissant le déficit de la balance courante. Cela place la Turquie dans une situation délicate: le pays repose largement sur les investisseurs étrangers pour obtenir des capitaux. De plus, les fluctuations du sentiment de marché ont eu un impact négatif sur les actifs turcs. Toutefois, ces faiblesses n’expliquent pas toute la dépréciation de la livre turque (TRY). L'environnement politique est largement à l'origine des récentes évolutions du marché. Alors que les marchés financiers, les entités supranationales et les agences de notation signalaient les vulnérabilités croissantes en Turquie, le Président Erdogan a pris peu de mesures pour rassurer les marchés. Le gouvernement a en effet continué d'annoncer de nouveaux plans de dépenses et de prôner de faibles taux d'intérêt, tout en étant extrêmement critique à l'égard des marchés financiers. En outre, les craintes des investisseurs ont été exacerbées par l’influence grandissante du Président Erdogan sur les institutions publiques et les décisions de la banque centrale.
Pourquoi la baisse s’est accélérée ces derniers jours ?
Outre les faiblesses structurelles détaillées ci-dessus, les tensions politiques entre les États-Unis et la Turquie se sont intensifiées ces dernières semaines. En sus des précédentes sources de mécontentement politique, la détention du pasteur américain Brunson a également joué un rôle. Son hypothétique libération serait un succès majeur pour le Président Trump, mais le Président Erdogan n’est pas d’accord. Ces tensions ont conduit les États-Unis à imposer des sanctions économiques et à doubler les droits de douanes sur l'acier et l'aluminium la semaine dernière. Le discours du Président turc vendredi dernier, dénué de plans concrets pour stabiliser la devise, a également exacerbé le mouvement de vente.
Les investisseurs sont préoccupés par les risques de contagion auxquels certaines banques européennes sont exposées du fait de leur détention de dette turque en devise étrangère. Ajoutons à cela que le Financial Times a publié un article sur la vulnérabilité des banques de l'Union Européenne à la Turquie, ce qui alimente de nouvelles inquiétudes. La contagion s'est limitée principalement à l’Afrique du Sud et l'Argentine pour le moment.
À quoi peut-on s'attendre ?
Une hausse importante des taux d'intérêt en cas d'urgence, l'établissement d'un partenariat stratégique avec les États-Unis, un plan de sauvetage du FMI et des contrôles des capitaux sont les principales options possibles pour les décideurs turcs afin d’éviter une crise majeure. À ce stade, le Président semble peu enclin à utiliser ces options. L'austérité budgétaire et des réformes budgétaires (sans intervention du FMI) pourraient être un autre moyen de venir à bout du double déficit, mais constituerait un défi politique. Une autre option pourrait être une « approche attentiste », c'est-à-dire laisser la monnaie procéder à tous les ajustements. Le risque est que cela pourrait conduire à une hausse de l'inflation, à de possibles défauts de paiement sur les obligations d'entreprises et à une récession.
Résumé du point de vue de la stratégie d’investissement
Etant donné que la situation en Turquie est encore très incertaine, les marchés devraient rester volatils à court terme. La probabilité que le gouvernement intervienne a augmenté à court terme. À ce stade, nous estimons que le risque de contagion est faible. Les principaux canaux de contagion seraient probablement les marchés obligataires émergents ainsi que les banques. En effet, les obligations turques représentent environ 12 % des obligations en devise forte des marchés émergents et près de 7 % des obligations des marchés émergents libellées en devise locale (basé sur les indices JP Morgan). Etant donné qu’une part croissante des obligations d'entreprises a été émise en dollars et en euros, le risque de défaut a augmenté et ceci suggère une augmentation des créances douteuses. Même si nous partons d'un niveau de créances douteuses faible, une augmentation pourrait peser sur les banques turques et également sur certaines banques européennes, qui ont des participations dans des institutions financières locales. Nous conservons une vue positive sur les marchés actions globalement. Les marchés développés sont soutenus par un contexte macroéconomique favorable et des résultats d’entreprises solides. Les valorisations restent attractives, notamment dans la zone euro et au Japon, qui sont nos marchés développés préférés. Au sein des marchés émergents, nous restons positifs sur l'Asie et l'Europe de l‘Est (ex. Russie). La saisonnalité laisse toutefois entrevoir des rendements médiocres au cours de l'été. Les tensions commerciales devraient également contribuer à cette hausse de la volatilité. L'euro a baissé face au dollar et le support autour de 1,155 a été cassé. On peut s'attendre à un rebond après ce mouvement brusque. Nos prévisions sont en cours de révision, même si nous anticipons toujours un dollar plus faible au cours des 12 prochains mois.