Le temps de reprendre son souffle
Après une longue série de records, les bourses américaines ont subi la semaine dernière une abrupte correction.

Après une longue série de records, les bourses américaines ont subi la semaine dernière une abrupte correction.
Le Nasdaq et les valeurs de croissance, en particulier, ont été pris de vertige jeudi dernier et ont fait l’objet de prises de bénéfices soudaines (-7% en 2 jours), voyant ainsi fondre les gains qui jusqu’au mercredi étaient restés méritoires. Le Nasdaq a perdu 3,3% en glissement hebdomadaire et le S&P500 2,3%.
Les autres régions ont suivi l’exemple américain, mais leur mouvement était de moindre amplitude. Le Stoxx Europe 600 a finalement dû lui aussi concéder 1,8%, mais avec des différences marquées entre les secteurs. Le secteur technologique a subi la plus lourde correction (-4%), tandis que quelques secteurs cycliques traditionnels comme l’industrie automobile, les matériaux, la chimie et autres ont tenu bon. Ce dernier constat est atypique pour une correction boursière et révélateur d’une rotation sectorielle sous-jacente des actions de croissance vers les actions de valeur restées à la traîne. Sur les marchés des changes et des matières premières également, nous avons assisté les deux derniers jours à une légère correction des tendances qui dominaient jusqu’alors: le dollar s’est quelque peu raffermi tandis que les prix du pétrole, de l’or et des matières premières ont cédé du terrain.
Des indicateurs économiques pas mauvais cependant
En Chine, la confiance des entrepreneurs du secteur des services a révélé une nouvelle hausse de 54,2 à 55,2 points. En Europe, l’indice des directeurs d’achat (PMI) du secteur des services est par contre retombé à 50,5 points en août sous l’effet du rebond du nombre de contaminations et des mesures de quarantaine. Le PMI de l’industrie a par contre tenu bon, parvenant à se maintenir à un niveau méritoire de 51,7 points. Les chiffres les plus encourageants nous venaient cependant des Etats-Unis, où l’ISM de l’industrie a poursuivi sa progression jusqu’à 56 points tandis que celui des services s’est maintenu à 56,9 points. On attribuera la vigueur de ces indicateurs de confiance à la diminution du nombre de contaminations et à l’espoir de l’arrivée imminente d’un vaccin. Le marché de l’emploi américain persiste lui aussi dans sa relance et le taux de chômage a diminué plus que prévu, retombant de 10,2% à 8,4%.
La pandémie n’est toujours pas sous contrôle
La poursuite de l’amélioration des indicateurs économiques dans les prochains mois dépendra dans une large mesure de l’évolution de la pandémie de coronavirus. A l’échelle mondiale, le nombre de contaminations enregistrées est toujours en hausse, avoisinant actuellement les 27 millions, dont près de 900.000 se sont soldées par un décès. Aux Etats-Unis, la baisse du nombre de contaminations par jour s’est interrompue à cause de nouvelles résurgences dans le Midwest. Pendant ce temps, la seconde vague continue de se propager en Europe. L’Espagne et la France ont même dans l’intervalle dépassé leur pic du mois d’avril, mais les tests sont évidemment beaucoup plus nombreux qu’à l’époque. Par contre, le nombre d’hospitalisations et de décès reste heureusement inférieur à celui de la première vague.
Entretemps, les perspectives des vaccins se font déjà un peu plus concrètes. Les tests de phase III sont encore en cours mais des procédures d’homologation accélérées ont déjà été initiées et des vaccins sont déjà commandés et produits en grand nombre. Les instances européennes en charge de la santé sont à présent d’avis que des vaccins homologués seront disponibles dès le mois de mars.
Hiver tourmenté ?
Pour toute une série de secteurs, cette période prolongée d’activité ralentie constitue un défi de taille. A présent que le mouvement de rattrapage qui s’était amorcé lors du déconfinement s’essouffle et que les premières mesures incitatives disparaissent, certains économistes s’attendent pour les prochains mois à une nouvelle vague de faillites et à une augmentation du chômage. Avant que les vaccins ne se mettent à contribuer à la relance de l’économie, nous connaîtrons sans doute un hiver tourmenté. Reste à espérer que les programmes incitatifs d’envergure apporteront un certain soulagement. Les autorités françaises ont notamment annoncé la semaine dernière un plan de relance de deux ans d’un montant de 100 milliards EUR, axé entre autres sur les aides aux entreprises, la rénovation de bâtiments, la mobilité écologique, etc.
Tant va la cruche à l'eau qu’à la fin elle se casse
Au cours des derniers mois, nous avions déjà à plusieurs reprises épinglé le contraste entre la bourse et l’économie réelle, de même que la polarisation extrême en termes de valorisation entre les valeurs de croissance et les traditionnelles actions de valeur. Nous avions aussi souligné les similitudes flagrantes entre la hausse hyperbolique du Nasdaq et la bulle technologique de l’an 2000. Les entreprises concernées engrangent certes des bénéfices notables, mais la progression de leurs cours est depuis tout un temps nettement plus marquée que la croissance de leurs bénéfices.
Certains chiffres sont à cet égard plutôt éloquents:
- Le Nasdaq affichait mercredi un niveau de 34% supérieur à celui du début de cette année marquée par la pandémie de coronavirus, révélant une hausse de 78% depuis son plancher du mois de mars.
- La capitalisation de marché de la bourse américaine a gonflé jusqu’à représenter 60% de la capitalisation boursière mondiale totale, contre seulement 8% pour toutes les bourses de la zone euro prises ensemble.
- A elles seules, les actions de 5 géants technologiques (Facebook, Amazon, Apple, Microsoft et Google) représentent 25% de cette bourse américaine.
- Le rapport cours-bénéfice du S&P500 (25) se rapproche ainsi du record de l’an 2000.
- La valeur boursière de Tesla représente plus de la moitié de celle de tous les autres producteurs automobiles pris ensemble (alors que Tesla détient une part de marché de moins de 0,5% à l’échelle internationale).
La correction à laquelle nous venons d’assister n’avait pas de cause manifeste, si ce n’est une augmentation de capital de Tesla et un avertissement isolé lancé par Ciena qui faisait état d’un ralentissement de la dynamique des commandes dans le segment de l’infrastructure réseau. Il est dès lors probable que la véritable raison de la correction résidait dans la prise de conscience du caractère excessif de l’évolution antérieure.
Conclusion
La bourse américaine et les valeurs de croissance restent surachetées et sont donc susceptibles de subir une nouvelle correction, d’autant que septembre et octobre sont traditionnellement des mois plus difficiles pour les bourses. A cela s’ajoutent cette année l’incertitude quant à l’évolution de la pandémie durant l’hiver, les tensions inhérentes aux élections présidentielles américaines et l’absence d’un accord budgétaire.
Les marchés-actions au sens large n’en offrent pas moins à un horizon de 12 mois davantage de potentiel que les obligations, lesquelles ne rapportent pour ainsi dire rien. En marge des valeurs technologiques et de croissance aux valorisations exigeantes, toute une série de secteurs traditionnels fluctuent toujours aux alentours de leurs planchers historiques: les banques et les compagnies d’assurances, l’énergie, l’acier, la production automobile, etc. Il s’agit donc pour les investisseurs de se tenir prêts à acheter des actions dès que la correction sera suffisante, en accordant la préférence aux secteurs et régions s’assortissant de valorisations plus attrayantes.
Le marché haussier de longue date qui anime les actions ne prendra sans doute fin que lorsque les banques centrales seront contraintes de durcir la politique monétaire et de relever les taux d’intérêt pour conjurer un rebond soudain de l’inflation. Une telle recrudescence de l’inflation – un effet à retardement des incitants monétaires et fiscaux sans précédent – est susceptible de se manifester au moment où l’économie se sera enfin remise entièrement. Heureusement, nous avons encore quelques années pour voir venir…