#Articles — 26.06.2020

QE des banques centrales : jusqu’où la prise de risque ?

Edouard DESBONNETS, Investment Advisor, Fixed Income

La probabilité que la Fed ou la BCE achètent des actions nous semble très faible. Il faudrait une nouvelle crise majeure pour qu’elles sautent le pas.

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Après plusieurs années d’existence, l’assouplissement quantitatif (Quantitative Easing – QE) s’est imposé comme l’outil principal de pilotage de la politique monétaire de nombre de banques centrales. C’est une évolution naturelle car les outils classiques n’ont plus vraiment de marge de manœuvre : les taux directeurs des grandes banques centrales sont à zéro voire négatifs et les représentants de ces institutions ont annoncé vouloir maintenir les taux à ces niveaux pendant longtemps.

 

Qu’est-ce que le QE ?

Les banques centrales agissent directement sur les taux d’intérêts à court terme grâce à leurs taux directeurs. Cependant, ils ont peu d’impact sur les taux d’intérêts à moyen et long terme. Le QE est un programme d’achat d’actifs. En achetant des obligations, la banque centrale fait monter les prix de ces actifs et donc baisser les taux d’intérêts à moyen et long terme. Ainsi, les banques centrales garantissent des coûts de financement plus bas à l’économie réelle (entreprises et ménages). Par la même occasion, les États s’endettent à des conditions plus favorables. Le QE améliore donc la solvabilité des États les plus endettés. Enfin, lors des crises, les acheteurs se font plus rares et la liquidité se tarit. Ces effets sont atténués grâce au QE car les banques centrales restent acheteurs, ce qui permet au marché de mieux fonctionner et aux acteurs économiques de se refinancer à des conditions plus « normales ». Ceci est particulièrement pertinent pour les obligations d'entreprises.

 

Quelle limite au QE ?

Au fur et à mesure des crises, les banques centrales ont élargi le champ des catégories d’achats du QE. D’abord cantonné aux actifs sans risque (obligations souveraines), il a ensuite inclus des actifs risqués comme les obligations privées. La BCE achète des obligations d’entreprise Investment Grade (la catégorie la mieux notée, par opposition à High Yield) depuis mars 2016. La Réserve fédérale américaine est même allée plus loin. Depuis la crise sanitaire, elle achète des obligations d’entreprise Investment Grade, mais aussi des ETFs High Yield. Un débat s’est alors ouvert : peut-elle en faire plus dans l’échelle des risques, peut-elle acheter des actions comme le font les banques centrales du Japon et de la Suisse ?

Les enseignements du Japon et de la Suisse

Leurs banques centrales achètent des actions depuis plusieurs années, mais pour des raisons différentes. La Banque centrale japonaise a ouvert la voie, à la demande du gouvernement, pour contrer la déflation. L’une des idées était de créer un effet richesse, qui aurait ensuite eu des effets bénéfiques sur la consommation, la croissance et l’inflation. En Suisse, le but  de l’achat d’actions est d’enrayer l’appréciation du franc suisse. Les États-Unis et la zone euro sont plus dans le cas de figure du Japon. Après presque dix ans d’achats d’actions, la banque centrale japonaise est devenue un actionnaire très important. Elle détenait environ 80% du marché des ETFs actions à fin 2019. On ne peut pourtant pas dire que sa politique est un succès. La Banque a participé à faire monter le marché action, mais il n’a jamais retrouvé son niveau record. Surtout, la Banque centrale n’est pas parvenue à créer de l’inflation et à s’approcher de sa cible de 2%.

 

Les implications d’un QE élargi aux actifs risqués

 

Le débat idéologique. Aux États-Unis, un membre de la Réserve fédérale a suggéré qu’elle devait élargir le champ des catégories d’achats de son QE. Certains l’ont interprété comme la possibilité que la Réserve fédérale achète des actions. Cependant, la loi américaine l’interdit. Il faudrait donc préalablement l’accord du Congrès. Le débat politique serait intense. La Réserve fédérale serait vue comme un instrument au bénéfice de Wall Street et non pas comme une institution faite pour tous les américains, tous n’ayant pas la surface financière pour détenir un portefeuille d’actions. Or, la Réserve fédérale justifie depuis des années ses décisions pour leurs impacts sur l’économie réelle, la lutte contre le chômage notamment.

La distorsion des marchés. C’est une critique souvent adressée à la Banque centrale japonaise. Quand une institution avec une capacité financière en théorie illimitée intervient sur les marchés sans se soucier du prix des actifs, alors cela crée des distorsions de prix. Les actifs risqués ne sont plus valorisés à leur « vraie » valeur.

Le risque sur le capital. Le portefeuille d’actions de la Banque centrale japonaise a affiché près de 30 milliards de dollars de moins-values latentes à cause du plongeon des marchés en mars. Le traitement des pertes diffère selon les banques centrales. Certaines sont obligées d’être recapitalisées par leur actionnaire (gouvernement), d’autres non. Généralement, les pertes sont absorbées par les profits passés qui ont été comptabilisés dans les réserves, les comptes de réévaluation et d’autres comptes de provisions ad hoc. Les éventuelles pertes restantes sont alors imputées sur les années rentables futures.

Comment en sortir ? Acheter des actifs risqués peut être une bonne solution à court terme pour stabiliser les marchés en cas de nouvelle crise. Cependant, une fois la crise passée, la banque centrale n’a plus de raison de maintenir ses achats d’actifs risqués. L’expérience passée montre qu’il est très difficile de sortir d’une politique monétaire laxiste sans déstabiliser les marchés et que cela prend beaucoup de temps. Contrairement aux obligations, les actions n’ont pas de date de remboursement.

Conclusion

A ce stade, la probabilité que la Réserve fédérale ou la BCE élargissent leur QE à des actifs risqués nous semble très faible. L’utilité serait relative vu que les marchés se sont stabilisés et ont même repris le chemin de la hausse. Il faudrait une nouvelle crise d’ampleur pour que ces banques centrales envisagent de sauter le pas. Cela poserait un débat étique car cela privilégierait une partie de la population. Les dernières déclarations du gouverneur de la Réserve fédérale laissent à penser que la valorisation des actifs financiers est une conséquence collatérale, pas un objectif de politique monétaire. La première priorité de la BCE et de la Réserve fédérale est de maintenir les rendements à un niveau bas pendant une longue période. L'achat d'obligations de qualité semble être l'outil approprié.