Après le coronavirus, nouvelles tensions sur les marchés financiers à cause du pétrole

EN UN MOT :
• Nouvelles tensions sur les marchés financiers en raison de la chute des prix du pétrole.
• Une récession globale courte est très probable. Elle amènera de nouvelles baisses de taux et des mesures budgétaires de relance.
• Bourses : nous sommes acheteurs sur les cours actuels.
Pétrole : la guerre des prix est déclarée
Réunis à Vienne vendredi, les ministres du pétrole du groupe de l’OPEP+ ne sont pas parvenus à se mettre d’accord sur la proposition de réduire encore l’offre de pétrole de 1,5 millions de barils par jour. Cette proposition des pays de l’OPEP était conditionnelle à la participation de la Russie. Cette dernière a refusé et l’Arabie Saoudite a déclaré qu’elle n’était plus tenue par l’accord précédent et qu’elle allait augmenter sa production.
La chute des prix du pétrole a été immédiate et brutale. Ce lundi matin, le West Texas Intermediate (WTI) a perdu 30% à 32$/baril et le Brent à 35$. C’est plus que problématique pour l’industrie du pétrole de schiste aux États-Unis qui était déjà mal en point l’an dernier. Les bourses américaines et le marché des obligations high yield en dollars seront les premiers affectés.
Si les prix restent bas, les bénéficiaires seront les pays importateurs comme l’Inde, la Chine, et la zone euro. La baisse des prix aurait le même effet qu’une baisse d’impôts, un cadeau inattendu.
Les aspects géostratégiques
Des considérations géostratégiques ne sont probablement pas absentes. En s’attaquant de cette façon au pétrole de schiste, les russes font peut-être pression sur les américains pour obtenir des concessions ailleurs. La situation peut donc évoluer dans tous les sens.
Si un accord politique n’est pas rapidement trouvé, l’offre et la demande de pétrole brut s’ajusteront par la méthode forte au détriment des producteurs dont les prix de revient sont les plus élevés. Plus l’absence d’investissement dans le secteur se prolongera, plus la remontée des prix à terme sera inévitable.
Il n’est dans l’intérêt d’aucune des parties de prolonger une telle guerre des prix. Les russes en particuliers ont besoin d’un prix du baril supérieur à $40 pour équilibrer leur budget et le
Président Putin a besoin d’une économie qui se porte bien pour remporter le référendum sur une modification de la constitution prévue dans six mois. Cette réforme est nécessaire pour l’autoriser à postuler pour un nouveau mandat. Les pays de l’OPEP, qui étaient d’accord pour faire des efforts de réduction de production, ont besoin d’un prix du baril beaucoup plus élevé que les russes pour équilibrer leurs budgets.
Quelles conclusions pour les investisseurs ?
Si aucune solution politique n’est trouvée, la guerre des prix pourrait suivre le schéma de celle qui a commencé en juillet 2014 et qui s’est terminée en janvier 2016. Le baril de Brent était alors passé de 100$ à 36$.
C’est ce scénario qui est en train d’être incorporé dans les cours des valeurs pétrolières.
Plus la guerre des prix se prolonge, plus la remontée des cours sera forte et inévitable du fait des conséquences du manque d’investissement que ce soit dans les champs pétrolifères classiques ou de schiste.
La meilleure façon de profiter d’une remontée rapide (accord politique) ou lente (1 à 1,5 ans) est d’investir dans les actions des grandes compagnies pétrolières. Investir dans des ETFs sur le pétrole présente un double désavantage si cela dure : l’absence de dividendes et le contango. Les ETFs investissement en effet dans des contrats à terme sur le pétrole qui doivent être régulièrement renouvelés à un prix plus cher que le contrat pour livraison immédiate (la situation de contango est celle où les prix à termes sont croissants en fonction de l’échéance). En 2015, le contango coûtait entre 15% et 20% sur 1 an. Ce qui signifie que le rebond doit être supérieur pour que l’investissement soit profitable (ce qui a finalement été le cas).
Récession courte très probable, amenant de nouvelles baisses des taux et des mesures budgétaires de relance
Globalement, les indicateurs avancés des principales économies ont bien résisté. C'est notamment le cas aux Etats-Unis avec un autre très bon rapport sur l'emploi publié vendredi 6 mars. Il est également encourageant de constater que les premiers indicateurs avancés (consommation quotidienne de charbon par exemple) en Chine continuent de se redresser même si c'est à partir d'une base faible. Concernant le virus, le nombre de nouvelles infections a continué de diminuer en Chine et en Corée du Sud. Ce n'est pas encore le cas en Europe ou aux Etats-Unis mais devrait l'être dans les semaines ou les mois à venir. Nous continuons de prévoir une reprise progressive tout au long du second semestre. Une récession technique (deux trimestres consécutifs de croissance négative) est probable dans les pays les plus touchés (Italie et Allemagne) mais le second semestre devrait compenser cela.
Le principal facteur déclencheur d'une récession à grande échelle serait un resserrement du crédit. Dans un tel scénario, les entreprises sont confrontées à des contraintes de liquidité, par exemple en raison d'une baisse temporaire de l'activité (coronavirus, ou de la forte baisse des prix du pétrole pour les producteurs américains) alors que la solvabilité à moyen terme reste bonne. Si les entreprises ne parviennent pas à trouver des financements à court terme, elles risquentune faillite qui peut entraîner un effet boule de neige. Nous partons du principe que les banques centrales et les gouvernements feront tout ce qui est nécessaire pour éviter une telle issue négative. C'est probablement la principale raison pour laquelle les marchés financiers corrigent si fortement. Une réaction politique forte et coordonnée pourrait apporter un soulagement clé.
La pression est forte pour que les banques centrales accompagnent les mesures budgétaires à venir. La BCE devrait selon nous annoncer ce jeudi, voire avant si le chaos continue sur les marchés, des mesures ciblées visant à fournir des liquidités aux entreprises en difficulté. Elle devrait baisser son taux de dépôt à -0,60% (soit une baisse de 10 points de base) afin d’ éviter une envolée de l’euro. De l’autre côté de l’Atlantique, nous pensons que la Réserve fédérale va annoncer au moins encore 50 points de base de baisse de taux lors de sa prochaine réunion de comité monétaire (18 mars). La probabilité est maintenant forte qu’elle ramène ses taux dans les prochains mois dans une fourchette 0%/-0,25%, comme pendant la crise financière de 2008. Nous attendons également des baisses de taux dans nombre de pays émergents.
La baisse du prix du pétrole affecte énormément le secteur, déjà fragile, des producteurs de pétrole de schiste américains. Vu leur poids important (12%) dans l’indice des obligations à haut rendement américaines, nous préférons passer d’une opinion neutre à négative sur cette classe d’actifs pour le moment. Nous conservons notre avis neutre sur les obligations à haut rendement en zone euro vu la faible exposition au prix du pétrole. Les entreprises émergentes basées dans les pays de l’OPEP+ sont également impactées, ce qui nous motive à prendre nos gains et à passer de positifs à neutres sur les obligations d’entreprises émergentes en devises fortes. La classe d'actifs a bénéficié de la forte baisse des taux américains.
Nous modifions notre objectif à 3 mois sur l'EUR/USD à 1,14 (contre 1,12). Notre objectif à 12 mois est en cours de révision. Nous réévaluerons également la nécessité de revoir d'autres objectifs de devises en fonction de la réaction des autorités.
Bourses : nous sommes acheteurs sur les cours actuels
Le déclenchement de la guerre des prix sur le marché pétrolier engendre une vague massive d’aversion aux risques. Sur les marchés actions, elle se traduit par des baisses de l’ordre de 5% au Japon et en Europe. En Asie ex-Japon, les baisses sont un peu moins prononcées, tournant autour de 3-4%. Dans ce genre de circonstances, les investisseurs sur les marchés actions hésitent entre deux dictons : attraper le couteau alors qu’il tombe ou profiter de la chute des cours pour acheter. Depuis les plus hauts, les reculs de cours approchent les 20% au niveau mondial.
Les risques de récession ont fortement augmenté mais cette récession a de fortes chances d’être considérée comme technique et d’être suivie par une reprise rapide de l’activité au troisième trimestre. C’est le scénario que nous retenons. Les impacts négatifs sur les estimations bénéficiaires seront dès lors considérés comme transitoires.
De plus, la chute du cours du pétrole a un effet reflationniste pour les consommateurs et nombre de secteurs économiques. Par ailleurs, les autorités monétaires et fiscales se mobilisent et d’autres mesures sont à attendre dans les prochaines semaines et mois. Les craintes sur les flux de liquidités au sein des entreprises devraient ainsi graduellement s’estomper d’ici l’été, entraînant un retour de l’appétit pour les actifs risqués.
Dans ce contexte, la volatilité devrait rester élevée durant les prochaines semaines mais les niveaux de cours actuels nous semblent être de bons points d’achat dans une optique à 6-12 mois. Nous nous rangeons par conséquent dans le camp des acheteurs sur faiblesse, message que nous avions adopté au début du mois de février.
Nos préférences restent la bourse américaine, celle de la zone euro, les marchés actions émergents et les valeurs britanniques.
Impact sectoriel
Focus d’abord sur le secteur de l’énergie (pétrole et gaz) qui était déjà bon marché avant la forte correction en cours: il l’est encore bien davantage maintenant, alors que les bilans financiers des entreprises énergétiques sont plus solides aujourd’hui qu’ils ne l’ont jamais été. Ce secteur pourrait encore rester volatile pendant quelque temps mais une telle occasion d’achat ne s’était plus produite depuis 2010! Nous restons positifs sur l’énergie.
En revanche, les banques américaines vont être impactées par les défaillances attendues des acteurs les plus faibles du secteur énergétique (et peut-être d’autres secteurs si la crise venait à s’étendre). Le ralentissement économique attendu et la courbe des rendements sont devenus des vents contraires forts. Dès lors, nous devenons plus prudents sur les banques US (nous baissons notre avis de positif à neutre) de même que le secteur financier en général en attendant d’y voir plus clair quant à l’impact économique des deux ‘black swans’ récents. Nous maintenons toutefois le secteur des assurances à positif, ses caractéristiques étant plus défensives et les niveaux de valorisation restant relativement attractifs. Des points d’entrée fort intéressants commencent aussi à apparaitre pour les banques européennes (opinion neutre) mais il vaut mieux rester positionné sur les plus solides.
Certains secteurs défensifs que nous jugions chers en début d’année sont maintenant beaucoup plus attractifs. Après la forte correction, nous relevons le secteur des biens de consommation de base de négatif à neutre après la forte correction. Nous relevons le secteur des soins de santé de neutre à positif, d’autant que le ‘risque Sanders’ semble bien moins grand aujourd’hui depuis que l’establishment du Parti démocrate américain s’est rallié en très peu de temps derrière Mr. Biden, beaucoup plus modéré dans ses vues. La chute actuelle offre de superbes points d’entrée pour ce secteur maintenant à nouveau bon marché. Au sein des secteurs technologiques, nous continuons de favoriser l’Europe et les titres permettant de jouer la 5G et l’e-commerce.
Pour les autres secteurs, l’impact à moyen terme est plus incertain et nous ne changeons pas nos vues. Le secteur industriel (opinion négative) n’est pas encore bon marché. Outre le secteur aéronautique mal en point, nous attendons un report, voire une baisse significative des investissements industriels du secteur privé. Le secteur de la consommation discrétionnaire (opinion neutre) est également à risque mais l’impact des crises actuelles sur la consommation finale est encore incertain même si la baisse des prix du pétrole représente un soutien inattendu.