BCE : réactivé et proactivité
Comme attendu, la BCE a augmenté son soutien à l’économie via son programme d’achats d’actifs dédié à la pandémie.

Cependant, l’ampleur a dépassé nos attentes et celles du marché. Ceci est de bon augure pour les obligations des pays périphériques et pour les obligations d’entreprise notées Investment Grade. Les nouvelles projections économiques de la BCE laissent à penser qu’elle sera encore amenée à en faire plus, probablement en septembre.
Un assouplissement monétaire attendu…
La BCE a assoupli sa politique monétaire une nouvelle fois hier. Cette décision était attendue pour deux raisons. D’une part, plusieurs gouverneurs l’avaient suggéré assez explicitement, évoquant la détérioration nette des anticipations de croissance et d’inflation. D’autre part, le rythme des achats de dette via le PEPP est soutenu depuis sa création mi-mars. Pour rappel, le PEPP (Pandemic Emergency Purchases Programme) est un programme de 750 milliards d’euros sur l’année 2020 qui vise à acheter la dette publique et privée des pays de la zone euro, notamment celle des plus affectés par la crise économique engendrée par le Covid-19. La BCE a déjà acheté 234 milliards de dette depuis la mi-mars avec le PEPP. A ce rythme, la BCE aurait consommé son enveloppe de 750 milliards à la mi-octobre, bien avant la fin de l’année donc.
… mais d’ampleur inattendue…
La BCE a pris trois décisions hier. Elle a augmenté l’enveloppe du PEPP de 600 milliards alors que 500 milliards « seulement » étaient anticipés. Elle a prolongé ce dispositif au moins jusqu’à juin 2021, donc six mois supplémentaires minimum. Et pour finir, elle a décidé de réinvestir les obligations arrivées à échéance, au moins jusqu’à la fin décembre 2022, ce qui lui permettra donc d’acheter une plus grande partie des émissions liées au prochain fonds de relance de l'Union Européenne. Pas de changement en revanche du côté des taux directeurs ou du programme d’assouplissement quantitatif classique (le QE). Ce dernier étant moins flexible que le PEPP dans le sens où il doit respecter les clés de répartition (part de chaque banque centrale nationale dans le capital de la BCE).
Ainsi, par son action, la BCE montre qu’elle reste déterminée à remplir son mandat et qu’elle n’est pas découragée par la décision de la cour constitutionnelle allemande qui a questionné la légalité d’une partie du QE.
… justifiée par des projections économiques en berne
Sans surprise, la BCE a révisé ses projections économiques à la baisse. Elle anticipe dorénavant une contraction du PIB de la zone euro de 8,7% en 2020. Plus inquiétant, elle a abaissé ses prévisions d’inflation à court et moyen terme, malgré le soutien monétaire massif. Elle prévoit 1,3% d’inflation à moyen terme (2022), loin donc de l’objectif de « proche mais inférieur à 2% ».
Réaction immédiate du marché
Les marchés ont apprécié la proactivité de la BCE. Elle aurait pu en effet attendre la réunion du mois du juillet ou celle de septembre en théorie puisque seulement 31% du PEPP a été consommé à la fin mai. Cependant, le coût de l'hésitation peut être irréversible comme disait l’ancien président de la BCE. Agir maintenant évite des tensions inutiles sur les conditions financières.
Les rendements obligataires des pays périphériques se sont fortement détendus. Le taux italien à 10 ans a baissé de 15 points de base à 1,40%. Il en va de même pour les rendements espagnols, -7 points de base à 0,55% par exemple. Face à l’appétit pour le risque, le rendement du Bund allemand a gagné 3 points de base à -0,32%. Le rendement du taux français à 10 ans n’a quasiment pas bougé, -2 points de base à -0,01%
L’euro a continué sa progression face au dollar, à 1,134, un plus haut de trois mois, pour saluer les mesures de soutien à la croissance.
Les marchés actions européens ont quant à eux terminé en baisse de 0,24%. Cela fait suite à plusieurs séances de hausse. L’EuroStoxx 50 est à un plus haut depuis mi-mars. Le secteur bancaire a surperformé.
Nos anticipations sur la BCE
On peut penser que la BCE devra en faire encore plus car l’objectif d’inflation est loin d’être atteint et les perspectives économiques peuvent justifier un assouplissement monétaire supplémentaire. Nous ne pensons pas que la BCE baisse ses taux directeurs, même si le système de taux par paliers est déjà en place. Nous penchons plutôt pour une nouvelle extension du PEPP, avec l’inclusion des fallen angels notés BB, ces obligations dont les notes de crédit ont été dégradées à la catégorie « haut rendement » suite à la crise sanitaire. Réponse possible en septembre.
Nos vues sur les taux et les obligations souveraines
La politique monétaire devrait continuer à prévenir tout hausse substantielle des rendements obligataires. La réouverture des économies et les nouvelles émissions obligataires à venir nous poussent à croire que les rendements obligataires devraient se tendre légèrement dans les pays cœur de la zone euro comme l’Allemagne. Nous pensons que le rendement du Bund allemand atteindra 0% d’ici 12 mois. En conséquence, nous sommes négatifs sur les obligations souveraines allemandes.
A l’inverse, nous restons positifs sur les obligations souveraines des pays périphériques (Italie, Grèce, Espagne, Portugal). Elles ont déjà bien progressé, mais gardent encore du potentiel selon nous. La BCE devrait continuer à supprimer la volatilité sur les taux d’intérêt comme elle l’a fait lors de la crise et à convaincre le marché de ne pas trop s’inquiéter des niveaux de dette des différents pays européens. La proposition de l’Union Européenne de lever de la dette commune devrait aider en ce sens. Ainsi, si la volatilité reste faible, les rendements obligataires des pays périphériques ajustés du risque deviennent intéressants. De plus, le PEPP soutient davantage les pays les plus touchés par le Covid-19. Les données à fin mai montrent que la BCE a acheté 37 milliards d’obligations italiennes, à comparer avec 29 milliards si elle avait respecté scrupuleusement les clés de répartition. Dans une moindre ampleur, la dette espagnole a aussi bénéficié de ce biais. En moyenne, 80% des achats du PEPP concernent des obligations souveraines. Le resserrement des écarts de rendement avec le Bund (spread) devrait donc se poursuivre.
Nos vues sur la dette d’entreprise de la zone euro
Le marché primaire Investment Grade reste très actif, a contrario du marché du High Yield, et la demande est forte. Cela peut paraître contre intuitif vu que les agences de notation n’ont jamais recensé autant d’entreprises qui devraient voir leur note de crédit se dégrader. La raison tient sûrement à la BCE car elle reste en soutien du marché Investment Grade. Le PEPP dirige en moyenne 20% de ses achats vers la dette d’entreprise et à cela s’ajoute le QE classique avec un part en mai à 24%. Cette dernière a d’ailleurs décru puisqu’elle était de 40% en début d’année, ce qui suggère que la BCE peut augmenter la part relative des achats d’obligations d’entreprise si des tensions réapparaissaient. Le fond d’aide européen discuté en ce moment est également un facteur positif pour les entreprises puisqu’il prévoit non seulement des prêts mais aussi des subventions. Du coté de l’offre, nous anticipons une baisse des émissions Investment Grade car les volumes actuels ne sont pas soutenables à court terme. Les entreprises ont levé beaucoup d’argent au premier semestre par nécessité ou par précaution. Les besoins de refinancement ne devraient pas être aussi important à l’avenir faute de croissance forte et d’envie de prendre des risques. Aussi, nous sommes positifs sur les obligations d’entreprise Investment Grade en raison de la dynamique offre/demande favorable.
En revanche, nous préférons rester neutres sur la classe d’actifs des obligations à haut rendement. Elles ne sont pas éligibles aux programmes d’achats de la BCE et nous ne pensons pas qu’elles le deviendront. Les fallen angels notés BB pourraient l’être cependant. Elles pourraient représenter une part non négligeable du marché de la dette à haut rendement. Cela dit, l’analyse du comportement de ces obligations indique que les spreads tendent à s’élargir fortement avant et encore un à deux mois après la déclassification, ce qui suggère une certaine prudence à court terme. Les entreprises dans la catégorie à haut rendement ont des profils de crédit faibles et peuvent être fortement impactées par la crise selon leurs secteurs d’activité. Le marché est donc à nos yeux plus fait pour les « bond pickers » car la sélection des émetteurs est primordiale dans cet environnement.