La fête comme en l’an 2000
Les marchés des actions sont devenus étonnamment résistants face à l'impact négatif du coronavirus, et dans certains segments en pleine croissance le battage médiatique rappelle la phase d’exagération de l'an 2000.

La semaine passée, les bourses américaines, européennes et chinoises ont toutes progressé d’1,5% environ, et le S&P500 comme le Stoxx Europe 600 ont enregistré de nouveaux records. Les cours des obligations ont eux aussi continué leur ascension, ce qui a encore enfoncé un peu plus les taux. Les prix du pétrole et des matières premières sont parvenus à se redresser quelque peu de leur lourde correction des semaines précédentes. Sur les marchés des changes, l’USD et la GBP se sont renforcés par rapport à l’EUR.
Le marché voit la vie en rose malgré des nouvelles en demi-teinte sur le plan économique
Il est frappant de constater à quel point les marchés sont magnanimes. Les records enregistrés ces derniers temps par les marchés contrastent avec les chiffres économiques mitigés et les messages de bon nombre d’entreprises mettant en garde contre l’impact négatif du coronavirus. Les investisseurs pensaient avoir compris que le nombre de nouvelles contaminations commençait à baisser. Or cette information a été infirmée par une révision des chiffres, qui a révélé une hausse exponentielle. Le nombre de contaminations enregistrées a entretemps dépassé les 70.000 cas et le nombre de décès se monte à quelque 1.800, déjà bien plus que les 800 morts dues au SRAS à l’époque. Le marché est reparti à la hausse en apprenant que de nombreuses usines chinoises essayaient de redémarrer après 2 semaines de fermeture. Tout ne se passe toutefois pas comme prévu car tous les travailleurs n’ont pas pu revenir ou en raison de problèmes d'approvisionnement. Mais le marché regarde vers l'avenir et part du principe que cet obstacle sera franchi d’ici quelques semaines ou quelques mois.
En attendant, les effets sur l’économie commencent à se faire sentir. En janvier, les ventes automobiles ont chuté de 21% en Chine. Et en février, ce sera peut-être encore pire. La consommation de pétrole en Chine était elle aussi inférieure de 20% au niveau normal ces dernières semaines. Dans une telle mesure que l’Agence internationale de l’énergie prévient que la demande mondiale de pétrole va se contracter pour la première fois depuis longtemps au premier trimestre. Et de nombreuses entreprises (notamment Apple) ont averti que leur production ou leurs livraisons subissent des retards en raison de problèmes d’approvisionnement depuis la Chine.
Le tableau économique général ne donne pas non plus vraiment de signe du redressement espéré.
La croissance économique dans la zone euro ne s’élevait qu’à un misérable 0,1% au quatrième trimestre, avec une stagnation en Allemagne et même un léger repli en France et en Italie. Et malgré un léger redressement des indicateurs de confiance, les données concernant l’économie réelle pour janvier n’ont encore témoigné d’aucune amélioration: poursuite de la chute de la production industrielle, ventes automobiles: -8%.
Aux Etats-Unis aussi, la production industrielle a baissé en janvier (-0,3%), notamment à cause de l’arrêt de la production du Boeing 737 Max. Et la consommation a moins progressé que prévu en décembre et en janvier. En revanche, la confiance des consommateurs américains pour février a légèrement augmenté.
Dans la phase finale d’exagération?
Que des facteurs de risque tels que la guerre commerciale et la crainte du Brexit en 2019 et, plus récemment, la menace militaire en Iran et la pandémie de coronavirus soient si facilement négligés ou si rapidement oubliés par le marché indique une autosatisfaction extrême (complacency). Certains segments en pleine croissance ou certaines actions très médiatisées progressent même de façon exubérante. Le cours de Tesla a doublé en janvier, après qu’il s’est avéré que l’entreprise a atteint pour la première fois un cash flow tout juste positif. La valeur de marché de Tesla, qui prévoit de vendre cette année 500.000 voitures, a ainsi dépassé celle de Volkswagen, qui vend quelque 11 millions de voiture chaque année et génère des flux de trésorerie assez conséquents. Ce déséquilibre dans la valorisation entre l’ancienne économie et la nouvelle est souvent excessif. Les investisseurs semblent dans certains cas ne plus s’intéresser à la valorisation des risques, tant que le scénario de croissance est favorable. Ce qui rappelle fortement la phase d’exagération de l'an 2000. Après 11 années de hausse des marchés (la plus longue de l’histoire), sommes-nous arrivés dans le "melt-up" final, qui caractérise en principe la fin d’un cycle boursier?
Aujourd'hui, il est frappant de constater que, à part les prix du pétrole et des matières premières, presque tout augmente: les actions, les obligations, l’immobilier, l’or... Même les obligations grecques sont très convoitées, car le taux à dix ans a chuté sous la barre d’un pour cent (un contraste saisissant avec les 17% d’il y a 7 ans). Une fuite vers l’or et les obligations (avec des taux en chute), associée à des prix des matières premières faibles, indique en principe une augmentation des risques et une faiblesse de l’économie. Par contre, la hausse des cours des actions semble tabler sur une haute conjoncture. En règle générale, une de ces deux perceptions du marché doit avoir tort. Mais nous savons pourquoi tout augmente. Cela vient naturellement de la politique de taux faibles et des injections massives de liquidités des banques centrales. Il est de plus en plus probable qu’elles soient involontairement en train de construire une bulle. La valorisation moyenne des marchés des actions n’en est pas encore au niveau extrême de l'an 2000, surtout en Europe. Mais le rapport cours/bénéfices du S&P500 a entretemps déjà tout de même enflé à 20 surtout à cause du rally impossible à arrêter des géants très bien cotés de l’internet et des technologies. En l’absence de solutions alternatives, nous continuons à nous laisser emporter provisoirement par la vague globale d’appétit pour le risque. Mais nous sommes sur nos gardes et guettons l’exagération dans certains segments ou un pic général plus tard dans l’année.