#Articles — 04.08.2020

Le jour d'après

Philippe Gijsels, Investment Advisor

Le moins que l’on puisse dire est que nous vivons une année mouvementée. En ce milieu d’été, le moment est donc venu de marquer une pause pour réfléchir aux marchés et à l’environnement d’investissement particulier que nous connaissons en ce moment.

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Personne n’a la science infuse, et celui qui prétend pouvoir prédire où nous en serons dans six mois ou un an n’a clairement aucune idée de la nouvelle réalité. La question qui est sur toutes les lèvres  est de savoir si le moment est opportun pour vendre après la vigoureuse ascension à laquelle nous avons assisté depuis le plancher du mois de mars. Nous nous proposons de formuler ici quelques éléments qui permettront de mener cette réflexion en toute connaissance de cause.

 

Un fossé persistant entre les marchés et l’économie

Durant l’effondrement des marchés et les journées noires de février et mars, nous avons toujours été d’avis de profiter du repli pour procéder à des achats, encore que personne n’était à l’époque en mesure d’établir avec certitude le timing exact du plancher. Finalement, nous ne nous sommes trompés que de quelques jours. Quoi qu’il en soit, nous partions de la réflexion que les crises de cette envergure, après et même pendant la Seconde Guerre mondiale, s’étaient dans le passé révélées être des opportunités d’achat. Notre idée était qu’à un moment donné, tôt ou tard, les banques centrales interviendraient en injectant des masses de liquidités pour soutenir le système. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé, et dans des quantités que personne n’aurait jugées possibles.

Il en a résulté un rallye qui nous a entretemps menés plus loin que prévu. Néanmoins, il subsiste un fossé entre les marchés financiers et la réalité économique. Cela dit, cette dernière s’est déjà nettement améliorée et la première partie de la remontée arbore bel et bien un profil en "V", ce qui n’a rien d’anormal pour une économie mondiale sortant d’un confinement. De plus, les résultats des entreprises semblent raisonnables, et pas seulement ceux des géants de la technologie. Mais ne nous voilons pas la face: ce que nous venons de vivre était la partie aisée de la reprise. Peu importe que nous en soyons déjà à une économie à 90% – ou même moins. Tout le défi consistera à revenir à 100%, autrement dit à la situation d’avant la crise. Nous pouvons dire que la remontée boursière a à court terme anticipé sur la réalité économique, en particulier compte tenu du fait que le virus est loin d’être sous contrôle aux Etats-Unis. Ailleurs dans le monde également, des résurgences se manifestent et l’on redoute une seconde vague de l’épidémie.

 

Le monde de l’après-coronavirus

Sans un vaccin, dont le timing reste incertain, nous ne reviendrons jamais à la normale – pour autant que les choses redeviennent un jour comme avant. Cela dit, nous restons intimement convaincus que les ressources humaines et matérielles investies permettront à un moment donné de mettre au point un vaccin – ou plusieurs – et des traitements efficaces. Chaque fois que des progrès sont rapportés sur ce front, la bourse s’envole. Compte tenu de ce phénomène, le pessimisme n’est pas une bonne stratégie.

Mais ce n’est pas tout. Si nous envisageons le monde de l’après-coronavirus, une tendance se dessine d’ores et déjà clairement. Nous vivrons pendant tout un temps encore dans un monde fait de taux d’intérêt très bas, voire négatifs. Le taux d’intérêt réel est le taux d’intérêt nominal moins l’inflation. Et ce taux d’intérêt réel est en ce moment très bas, au grand dam des banques centrales qui aspirent à la stabilité des prix. Ces dernières années, ni les taux d’intérêt bas, ni l’assouplissement quantitatif, ni les masses de liquidités injectées par les banques centrales n’ont suffi à faire grimper dans des proportions significatives l’inflation dans l’économie réelle. Néanmoins, toutes ces interventions ont eu pour effet de soutenir les marchés-actions, des obligations, de l’immobilier, de l’art et des métaux précieux. Autrement dit, pour ainsi dire tous les actifs.

Mais cette fois, la situation est différente. En marge des interventions des banquiers centraux, les autorités ouvrent elles aussi tous les registres en lançant des programmes incitatifs fiscaux d’envergure. Nous observons ce phénomène dans le monde entier, et aux Etats-Unis à concurrence même de milliers de milliards de dollars. Cela dit, peut-être que le fonds européen de la relance revêt dans ce contexte le plus de signification. Pour la première fois, des dettes communes sont contractées, ce qui profitera probablement à la cohésion au sein de la zone euro. Cela dit, le plus important pour notre scénario réside dans le fait que ces capitaux alimentent non seulement le monde financier, mais aussi l’économie réelle. Cet élément pourrait en effet créer progressivement un peu d’inflation, pour la première fois depuis de nombreuses années. Et si nous tenons compte qu’en plus de cela, les banques centrales maintiendront les taux d’intérêt à des niveaux particulièrement bas pendant encore très longtemps, nous en concluons à des taux d’intérêt réels faibles, voire négatifs jusqu’au bout de notre horizon de prévisions, peu importe jusqu’où il aille.

Investir dans un monde fait de taux d’intérêt réels négatifs

Un monde fait de taux d’intérêt réels négatifs est un monde régi par d’autres règles que celles qui sont expliquées dans les manuels, d’autres règles que celles dont nous avons l’habitude. Pour commencer, certaines formes de placements s’assortissent d’un rendement négatif. A partir du moment où le taux d’intérêt d’un livret d’épargne est inférieur à l’inflation, son titulaire perd chaque année une partie du pouvoir d’achat de son capital. Le graphique ci-dessous montre bien qu’au bout de quelques années, l’impact cumulé peut être énorme.

Peut-être faudrait-il penser à remplacer l’avertissement "Attention, emprunter de l'argent coûte aussi de l'argent" par "Attention, épargner de l'argent coûte aussi de l'argent". Car le revers de la médaille est que si l’on peut emprunter à un niveau inférieur à l’inflation, on est en termes réels payé pour contracter un emprunt. De ce fait, l’immobilier reste un investissement très intéressant en dépit des hausses vertigineuses des dernières années et même dans l’hypothèse où les prix viendraient à ne plus augmenter. Et ce qui est vrai pour l’immobilier l’est pour presque tous les actifs réels. Tous les placements qui génèrent un flux de revenus positif deviennent particulièrement précieux.

Et donc aussi les actions, à travers lesquelles l’investisseur achète une partie d’une entreprise. Les résultats pourraient encore rester sous pression dans les trimestres à venir, et les dividendes être réduits voire carrément différés. Mais le fait est que la faiblesse des taux d’intérêt persistera bien plus longtemps que celle des résultats. Un relèvement des taux n’interviendra que le jour où l’économie tournera à nouveau à plein régime. Autrement dit, l’effet positif est plus durable que les retombées à court terme. Pour résumer, on pourrait dire que dans un monde fait de taux d’intérêt réels négatifs, les règles sont différentes. Avec comme règle de base que les actifs réels peuvent se montrer particulièrement performants…

A propos de la gestion active et du "market timing"

Si les perspectives sont positives à long terme et incertaines à court terme, nous pourrions essayer de prendre quelques bénéfices pour procéder à de nouveaux achats à des niveaux inférieurs. Il y a assurément des arguments qui le justifient. Prendre quelques bénéfices après une ascension comme celle qui s’est amorcée depuis le plancher du mois de mars n’est certainement pas une mauvaise idée. Mais dans la pratique, c’est plus facile à dire qu’à faire. Pour que la tactique rapporte, le timing doit être parfait les deux fois: non seulement pour la vente, mais aussi lors de l’achat. Tout particulièrement à plus court terme, les bourses peuvent se montrer particulièrement irrationnelles. Peut-être n’y aura-t-il pas de repli. Lorsque les marchés recommencent à grimper, même après une baisse, il est fréquent que l’hésitation l’emporte sur la raison. C’est ce qui explique que tant d’investisseurs qui ont manqué la remontée disposent encore d’importantes quantités de liquidités. Des études scientifiques ont en outre permis d’établir que le fait de manquer ne serait-ce que quelques-unes des journées les plus fastes en termes de hausse a d’énormes retombées sur le rendement.

Cela ne signifie pas que nous devions pour autant baisser la garde et renoncer à repenser en permanence les portefeuilles. Car somme toute, c’est surtout l’allocation des actifs, la détermination d’une pondération pour chacune des différentes classes d’actifs, qui est susceptible de profiter de manière significative au rendement. Comme on peut le voir dans le tableau qui suit, le classement (selon le rendement en baisse) n’est jamais le même d’une année à l’autre.

Un second semestre captivant en perspective

Après l’été, nous connaîtrons sans nul doute encore des mois volatils et passionnants. Et il en ira probablement de même en 2021. L’important est de continuer à évaluer la situation en permanence et surtout d’essayer de déterminer la répartition idéale entre les différentes classes d’actifs. Indépendamment du "market timing", nous évoluons de plus en plus vers un monde fait de taux d’intérêt réels négatifs persistants, un monde régi par de nouvelles règles. Un monde dans lequel à plus long terme, les actifs réels se montreront plus performants que les liquidités.

Cet été sera pour le moins étrange et mémorable, un été placé sous le signe de la sécurité – la vôtre et celle de tous ceux qui vous sont chers. Mais peut-être aussi un été que nous devrions mettre à profit pour réfléchir au monde de l’après-coronavirus, que nous espérons être pour bientôt…