Quels rendements à long terme pour les différentes classes d’actifs ?

Résumé
Le principal moteur des marchés financiers au cours des derniers mois a été l'inflation et le changement de politique monétaire. Les banques centrales ont été contraintes d’inverser leurs politiques de taux bas en vigueur depuis plusieurs années. Quasiment l’ensemble des grandes banques centrales (à l'exception de la Chine et du Japon) se sont lancées dans une série de hausses de taux, dans le but de freiner la demande et de faire baisser l'inflation. La menace d’une récession économique s'est accrue, les consommateurs et l'industrie ayant réagi non seulement à la hausse des coûts de financement, mais aussi à la pression budgétaire suite à la hausse des prix (notamment de l'énergie).
L'estimation des rendements attendus à long terme consiste à regarder au-delà de l'environnement économique actuel et donc à évaluer la capacité des banques centrales à stabiliser l'inflation autour de leur objectif et à estimer la croissance économique à long terme. En ce qui concerne l'inflation, nous prévoyons un pic plus tard dans l'année et une baisse progressive vers l'objectif à long terme de 2 % sur 2024. Nous ne prévoyons pas une nouvelle baisse de l'inflation en dessous de 2 % car nous pensons que l'économie mondiale est en train de changer de régime. L'inflation est généralisée : plus de la moitié du panier affiche des taux d'inflation au moins deux fois supérieurs aux objectifs des banques centrales en zone euro et au Royaume-Uni. Une autre raison de ce changement de régime est la forte croissance des salaires, déjà visible aux États-Unis et qui devrait se matérialiser dans la zone euro au cours des prochains trimestres. Les incertitudes inflationnistes devraient perdurer et justifier une prime entre les taux à court et à long terme, comme cela a été le cas précédemment.
La croissance économique avant la pandémie de Covid a été principalement freinée par la demande, en particulier en Europe. Au cours des deux dernières années, la demande a été stimulée par les dépenses publiques. Mais dans le même temps, la chaîne d'approvisionnement et, plus récemment, les contraintes du marché du travail ont limité l'offre mondiale. Pour les années à venir, les contraintes d'offre devraient progressivement s'atténuer tandis que la demande sera soutenue par les investissements publics et privés massifs pour lutter contre le changement climatique et améliorer l'indépendance énergétique.
La croissance économique et les bénéfices devraient donc être supérieurs à ceux de la décennie précédente. Nous utilisons un taux de croissance plus élevé pour notre estimation des rendements attendus à long terme par rapport aux dernières années. Les rendements des marchés obligataires sont revus à la hausse en raison des récentes révisions des taux des banques centrales à long terme et de l'incertitude accrue entourant l'inflation. Cela a conduit à une réévaluation des rendements des obligations.
Les marchés actions ont subi d'importantes corrections de cours et se négocient désormais à des niveaux de valorisation plus faibles. Cela se traduit par une baisse des ratios cours/bénéfices et une hausse des rendements des dividendes. Conjuguée à la hausse des prévisions de croissance économique à long terme, cette situation se traduit également par une hausse des rendements attendus pour les actions. Les investisseurs doivent être conscients du fait que les actifs privés, tels que le Private Equity et les infrastructures, présentent un rendement attendu plus élevé mais comportent un risque plus élevé, en particulier un risque de liquidité. Nous discutons de l'estimation des rendements attendus à long terme dans les sections suivantes.
Actifs obligataires
Obligations d’État : le rendement attendu des emprunts d'État à 10 ans peut simplement être estimé par le rendement actuariel moyen d'une obligation d'État à 10 ans, le risque étant que cette mesure puisse fluctuer un peu à court terme et faire l'objet de spéculations ou de stratégies de couverture à court terme. Pour la zone euro, nous utilisons un rendement actuariel moyen (YTM) d'un indice d'emprunts d'État incluant la plupart des pays membres (avec une maturité moyenne proche de 10 ans). Nous estimons le rendement attendu des emprunts d'État à 2 % pour la zone euro et à 3 % pour les États-Unis. Par rapport à nos estimations de l'année dernière, il s'agit d'une révision de +1,75 % et +1,50 % respectivement pour la zone euro et les États-Unis.
Obligations d’entreprises Investment Grade : nous utilisons notre estimation de l'emprunt d'État auquel nous ajoutons une prime de risque historique (« spread de crédit ») et procédons à des ajustements pour tenir compte des effets attendus du défaut de certaines sociétés sur la période.
K. Giesecke, F. Longstaff, S. Schaefer et I Strebulaev (2010) trouvent un spread de crédit moyen pour les obligations d'entreprises IG d'environ 0,80 % par rapport aux emprunts d'État. Le taux de défaut moyen sur la période est de 0,9 % avec un taux de recouvrement de 50 %. Sur la base de ces hypothèses, nous estimons le rendement attendu des obligations d'entreprises investment grade à 2,5 % pour la zone euro et à 3,5 % pour les États-Unis. Il s'agit des mêmes révisions à la hausse que pour les emprunts d’Etat.
Obligations d'entreprises à haut rendement : nous utilisons un spread par rapport aux emprunts d'État. Pour les obligations d'entreprises à haut rendement de 500 pb, un taux de défaut attendu de 3,3 % aux États-Unis et de 1,9 % en Europe, et un taux de recouvrement de 40 %. Ces chiffres sont basés sur un article de F. Reilly, D. Wright et J. Gentry (2009) et sur la « Annual Global Corporate Default Study 2016 » de S & P.
Nous estimons le rendement attendu des obligations d'entreprises à haut rendement à 5 % pour la zone euro et à 5,75 % pour les États-Unis. Par rapport à nos estimations de 2021, il s'agit d'une révision à la hausse de 1,50 % pour les deux.
Les obligations émergentes : l'écart historique à long terme par rapport aux emprunts d'État américains pour l'indice JP Morgan (indice EMBI + JP Morgan) est d'environ 400 pb, que nous ajustons pour tenir compte du taux de défaut et de recouvrement attendus. Ceci est basé sur l'étude de JP Morgan sur « EM Corporate Default Monitor ». Sur la base de ces hypothèses habituelles, nous estimons le rendement attendu des obligations émergentes en USD à 5,25 % (contre 4 % l'an dernier).
Actions
Nous utilisons le modèle Gordon Shapiro (forme de croissance constante du modèle d'actualisation du dividende) qui lie le rendement attendu des actions (ou de l'indice boursier) au rendement du dividende et au taux de croissance attendu du dividende. Nous prenons également en compte les effets potentiels de revalorisation. Les rendements attendus sont supérieurs aux ratios de Sharpe implicites (sur la base de la volatilité historique à 10 ans).
Une autre façon d'aborder ces calculs consiste à utiliser nos rendements attendus sur les emprunts d'État et à ajouter la prime de risque moyenne historique à long terme. Cette prime de risque varie d'un pays à l'autre et s'établit en moyenne à 4 % sur la période 1900-2020 (voir Elroy Dimson, Paul Marsh, Mike Staunton, 2021). Cela se traduirait par des rendements attendus globalement conformes à nos estimations pour la plupart des marchés d'actions.
Matières premières
Il est très difficile d'estimer le rendement attendu des matières premières, en particulier de l'or, car aucun revenu futur ne peut être actualisé. En prenant en compte l’analyse des données à long terme sur la période 1877-2020, Ilmanen, Antti. (2022) soutient que « sans preuve statistique d'un rendement attendu variable dans le temps, la meilleure estimation prospective pour l'avenir à long terme est la prime moyenne historique ». Il estime que « sur la base des éléments ci-dessus, une prime constante d'environ 3 % par rapport aux liquidités « cash » semble appropriée pour un portefeuille diversifié de matières premières (mais pas pour une seule matière première !) ». Sur la base de notre hypothèse de rendement attendu des liquidités, nous appliquons un rendement attendu des matières premières et de l'or de 4 %.
Alternatifs UCITs et immobilier
Compte tenu de la diversité et de la complexité des stratégies, nous utilisons des études universitaires fondées sur des données historiques qui tiennent compte des biais de mesure, pour estimer les rendements attendus. La référence principale est Ibbotson, Chen et Zhu (2011). Sur la base de cet article, nous utilisons l'hypothèse d'un rendement excédentaire des liquidités de 2,75 %. Cette prime s'ajoute au rendement moyen attendu des liquidités en euros et en dollars américains (1,25 %). Nous estimons ainsi le rendement moyen attendu des fonds alternatifs à 4 %.
Pour l'immobilier coté, nous utilisons une approche similaire à celle utilisée pour les actions. Nous utilisons un rendement du dividende de 4 %, un taux de croissance réel du dividende de 0,5 % et une inflation de 2 %. Le rendement attendu est donc de 6,5 %.
Private Equity
R. Harris, T. Jenkinson et S. Kaplan (2014) constatent que pour le Private Equity, « la surperformance par rapport au S&P 500 est en moyenne de 20 % à 27 % sur la durée de vie totale du fonds et de plus de 3 % par an ». Les indicateurs avancés, tels que la hausse des taux d'intérêt, le durcissement de la concurrence et le trop grand nombre de transactions en capital, laissent présager d'une légère baisse des rendements excédentaires à l'avenir. Voir également Ilmanen, Antti. (2022) pour plus de détails. Nous estimons ainsi la surperformance à terme à 2,5 %. Le rendement attendu du Private Equity est ainsi de 9,25 %. Les investissements en Private Equity sont moins liquides, ce qui justifie une prime de risque supplémentaire.
Antti Ilmanen (2011) a étudié l'historique de l'indice UBS Global Infrastructure, incluant et excluant les services aux collectivités (l'indice date de 1990). Il a soutenu que « les actions du secteur des infrastructures ont généré un rendement total annuel de 9,3 % sur 1990-2009 ». Sur la période 1990-2015, nous trouvons un chiffre proche de 7 %. Pour des données plus récentes, nous utilisons l'indice S&P Global Infrastructure. Au cours des 20 dernières années (depuis avril 2002), le rendement total annuel a été proche de 9,5 %. Sur la base de ces études, nous utilisons une prime de risque de 2 % par rapport aux indices actions traditionnels. Cela conduirait à 8,75 % pour les investissements dans les infrastructures. Ces derniers sont moins liquides, ce qui justifie une prime de risque supplémentaire.
References
•Ang (2014), “Asset Management: A Systematic Approach to Factor Investing”, Oxford University Press.
•Elroy Dimson, Paul Marsh, Mike Staunton (2021), “Credit Suisse Global Investment Returns Year-book 2021” Credit Suisse Global Investment Re-turns, Yearbook 2021.
•K. Giesecke, F. Longstaff, S. Schaefer, and I Strebulaev (2011), “Corporate Bond Default Risk: A 150 year Perspective”, Journal of Financial Economics, Vol. 102, issue 2,233-250.
•Gordon, M.J and Eli Shapiro (1956) “Capital Equipment Analysis: The required Rate of Profit”, Management Science, 3, (1).
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•Ibbotson, Roger G., Peng Chen, and Kevin X. Zhu. (2011). “The ABCs of Hedge Funds: Alphas, Betas, and Costs”, Financial Analysts Journal, vol. 67, no. 1 (January/February) p15–25.
•Ilmanen, Antti. (2011), “Expected returns: An In-vestor’s guide to harvesting market rewards”, Wiley Finance.
•Ilmanen, Antti. (2022), “Investing amid low ex-pected returns”, Wiley Finance.
•Ilmanen A., Chandra S. and N. McQuinn (2019), “Demystifying Illiquid Assets: Expected Returns for Private Equity”, AQR Whitepaper 1Q19.
•JP Morgan (2019) “EM Corporate Default Monitor“, Global Credit Research.
•Reilly F., D. Wright and J. Gentry (2009), “Historic Changes in the High Yield Bond Market’, Journal of Applied Corporate Finance, Volume 21 Number 3.
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•J. Taylor (1998) “An historical analysis of monetary policy rules”, NBER working paper N°6768.
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