#Articles — 20.01.2023

Obligations : le retour du rendement

Edouard Desbonnets, Senior Investment Advisor

city

Résumé

·         Fin de 10 ans de TINA ! Les obligations deviennent enfin compétitives par rapport aux actions suite à la violente remontée des rendements obligataires en 2022.

·         Les taux à long terme sont à un plus haut sur 10 ans en Allemagne et aux États-Unis. Cela implique 1/ une plus forte probabilité de performance positive sur les actifs obligataires en 2023 ; 2/ des coupons plus attractifs qui rémunèrent le portage et apportent un coussin de sécurité en cas d’une éventuelle baisse des prix des obligations ; 3/ un risque plus faible de nouvelle remontée des rendements obligataires ;   4/ une réallocation plus équilibrée en faveur des obligations dans les portefeuilles multi-actifs.

·         Dans l’univers obligataire, nous préférons :

o    Les obligations d’État américaines (maturités courtes et intermédiaires en raison du moindre potentiel de baisse des taux à long terme après la baisse récente),

o    Les obligations d’entreprises Investment Grade aux États-Unis (maturité courtes et intermédiaires vu les mouvements de taux d’intérêts récents – ces maturités sont aussi relativement peu chères historiquement comparées aux maturité longues),

o    Les obligations subordonnées de la zone euro, notamment les hybrides corporate et les AT1 contingentes financières. Privilégier les émetteurs solidement ancrés dans la catégorie Investment Grade,

o    Les obligations émergentes, en devise forte et en devise locale.

 

Fin de l’ère TINA

De 2012 à 2016, plusieurs banques centrales à travers le monde ont ébranlé les marchés en introduisant des taux directeurs négatifs afin de stimuler l'économie et éviter une spirale déflationniste. Plusieurs d'entre elles ont également lancé un programme d'achat d'obligations afin d'assouplir encore plus leur politique monétaire.

Par conséquent, la volatilité et les risques ont été progressivement réduits. Un tiers des obligations du plus large indice obligataire (l'indice Bloomberg Global Aggregate, qui inclut des obligations d'État et d'entreprises de pays développés et émergents) affichaient un rendement négatif à l'échéance.

Les rendements des produits obligataires étaient si bas que l'acronyme TINA - There Is No Alternative / il n’existe pas d’alternative (aux actions) - est apparu et est resté d'actualité pendant des années.

Cette époque est désormais révolue. Les obligations à taux négatif à échéance ont quasiment disparu de la surface du globe en janvier, presque dix ans après leur apparition. Le dernier bastion de résistance réside au Japon où quelques rares obligations à très court terme affichent encore des rendements à taux négatif à échéance.

Une transition douloureuse

L'inflation a fait un retour marqué, après des années de politiques monétaires et budgétaires accommodantes, obligeant les banques centrales du monde entier à relever rapidement leurs taux directeurs. La flambée des taux d'intérêt qui s'en est suivie, associée à l'élargissement des spreads de crédit, a fortement affecté les détenteurs d'obligations. Les indices Bloomberg Aggregate ont connu leur pire performance en 2022 depuis leur création (1999 en zone euro et 1977 aux États-Unis) avec un recul de 17,2% dans la zone euro et de 13,0% aux États-Unis.

Début de l’ère TARA

Toutefois, la hausse des taux d'intérêt est devenue une bonne nouvelle pour les investisseurs qui peuvent enfin trouver des opportunités dans l’univers obligataire. En d'autres termes, il existe désormais des alternatives raisonnables (TARA – There Are Reasonable Alternatives).

Il est peu probable que les terribles performances de 2022 ne se répètent en 2023, tout simplement parce que les performances des obligations attendues à long terme sont principalement déterminées par le niveau actuel des rendements, et ceux-ci sont à un plus haut de 10 ans en Allemagne et aux États-Unis.

Ainsi, non seulement les coupons des nouvelles obligations deviennent suffisamment importants pour compenser une éventuelle baisse des prix de ces obligations, mais en plus, les obligations redeviennent intéressantes relativement aux actions. En effet, le rendement moyen des obligations est désormais supérieur au rendement du dividende des actions. 

Il nous semble donc opportun de prendre progressivement des positions sur le segment obligataire. Nous préférons les obligations d’État américaines, les obligations d’entreprises Investment Grade aux États-Unis, les obligations subordonnées de la zone euro et les obligations émergentes.

Opportunités dans les obligations d'État américaines

Évolution des rendements obligataires : les rendements obligataires pourraient se tendre à nouveau durant le premier trimestre, surtout en zone euro puisqu’une vague record de nouvelles émissions y est attendue, la plus importante depuis 2012. Cette offre obligataire devra essentiellement être absorbée par les investisseurs privés puisque le programme d’achat d’obligations de la Banque centrale européenne est terminé, ce qui suggère des rendements à long terme plus élevés en zone euro au T1 et aussi aux États-Unis du fait de la forte corrélation entre les taux d’intérêts des zones (de l’ordre de 70%).

Changement de paradigme : le pic d’inflation a été atteint, aussi bien en zone euro qu’aux États-Unis. Le risque inflationniste va donc devenir de moins en moins un sujet. L’attention des investisseurs va se tourner de plus en plus sur l’impact du resserrement monétaire sur la croissance économique (le risque d’une récession à un an est de 60% aux États-Unis et 70% en zone euro d’après le consensus des économistes) et la date de la prochaine baisse des taux directeurs des banques centrales. Cela suggère des d’intérêt à long terme plus bas. Ainsi, après le pic du T1, les taux d’intérêt à 10 ans devraient se détendre et atteindre, selon nous, 2,5% en Allemagne et 3,5% aux États-Unis à la fin de l’année.

Valorisation : les obligations d'État américaines ne sont pas chères en comparaison historique. Les rendements à long terme sont à un plus haut de 10 ans, ce qui rend le portage très attractif et crée un coussin de sécurité important contre une éventuelle remontée des taux d’intérêt. En effet, un investisseur en obligation d’État américaine à 10 ans commencerait à perdre de l’argent si le taux à 10 ans se tendait de 45 bps en 12 mois (soit à 4% contre un taux actuel à 3,5%). Pour l’obligation à 2 ans, il faudrait que le taux à 2 ans bondisse de 220 bps dans 12 mois, soit à 6,5%, pour que l’investissement ne s’avère pas rentable. Un tel mouvement parait irréaliste.

Notre positionnement : nous sommes Positifs sur les obligations d'État américaines. Historiquement, les bons du Trésor surperforment les autres produits à revenu fixe durant les périodes de récession. Nous sommes Positifs sur la partie courte (4,3% de rendement moyen au 13 janvier pour les maturités 1-3 ans), mais aussi sur la partie intermédiaire en anticipation d’une baisse des taux à long terme (3,5% de rendement moyen au 13 janvier pour les maturités 7-10 ans). En revanche, nous restons Neutres pour l’instant sur les obligations d'État allemandes. Nous espérons des meilleurs points d’entrée après la vague de nouvelles émissions du T1.

 

Opportunités dans les obligations d’entreprises Investment Grade américaines

 

Fondamentaux solides : les fondamentaux ont atteint un pic l’année dernière et la dynamique d’amélioration des notes de crédit s’enraye depuis à cause du ralentissement économique et du resserrement des conditions financières. Cependant, les fondamentaux restent encore solides. Le levier est très faible. Les entreprises ont en moyenne trois fois plus de dettes que de bénéfices. Le ratio de couverture des charges d’intérêts décline mais reste proche des plus hauts historiques. Les entreprises ont presque neuf fois plus de bénéfices que d’intérêts débiteurs.

Rendement élevé : le rendement moyen est de 5,1% au 12 janvier, soit un niveau que l’on n’avait plus vu depuis 2008. L’investisseur est donc rémunéré pour détenir des obligations avec un risque faible (Investment Grade). Le risque de défaut est très bas. L’agence de notation S&P a calculé qu’il avait été en moyenne de 0,1% par an depuis les années 80. La moyenne historique par qualité de crédit est de 0% pour le AAA, 0,02% pour le AA, 0,06% pour le A et 0,17% pour le BBB.

Valorisation : le spread moyen (126 bps au 12 janvier) se situe dans la moyenne historique. La classe d’actifs n’est donc ni chère ni bon marché. Par rapport au cycle économique, la classe d’actif est relativement bon marché si l’on estime que l’on est dans une phase de fin d’expansion économique. Nous anticipons un écartement des spreads, lié aux nombreuses émissions à venir et au risque de révisions à la baisse des résultats. Cet écartement devrait cependant rester modeste car les fondamentaux des entreprises sont sains et les flux acheteurs devraient persister. La classe d’actifs devrait générer des performances positives surtout grâce au portage.

Notre positionnement : nous sommes Positifs sur les obligations d’entreprises américaines Investment Grade. Nous préconisons les maturités courtes ou proches de l’indice de référence (7 ans) suite aux mouvements récents des taux d’intérêts. Ces maturités sont aussi relativement peu chères historiquement comparées aux maturité longues. Nous aimons particulièrement les Financières car 1/ leurs fondamentaux sont bons et les valorisations sont correctes ; 2/ l’offre obligataire devrait être réduite cette année (les six plus grosses banques américaines pourraient réduire leurs nouvelles émissions d’un tiers par rapport à 2022) et 3/ la valorisation est correcte.

 

Opportunités dans les obligations d’entreprises subordonnées de la zone euro : hybrides corporate et AT1 contingentes financières

Les titres de dette subordonnée offrent une protection plus faible que la dette senior en cas de défaut de l’émetteur, mais plus forte que les actions.

Les hybrides corporate sont des titres émis par des sociétés non financières. Ils sont dits hybrides car ils ont des caractéristiques propres aux obligations, comme le versement d’un coupon, et aussi des caractéristiques propres aux actions, comme l’absence d’une date de maturité ou une maturité très longue et la possibilité de ne pas verser de coupon à l’instar du dividende des actions.

Paramètres attrayants : les hybrides corporate offrent un rendement moyen à un plus haut sur 10 ans, 5,4% au 12 janvier pour une sensibilité aux taux d’intérêt faible en comparaison historique (3,8 ans). La classe d’actifs est dans la moyenne par rapport à sa valorisation historique. Elle est en revanche peu chère comparée aux obligations d’entreprises High Yield de meilleure qualité (notées BB). 

Résilience : les hybrides corporate peuvent être volatils et corrélées aux marchés actions. Elles présentent aussi des caractéristiques défensives. La classe d’actifs est dominée par des émetteurs de qualité Investment Grade, dont les trois quarts appartiennent à des secteurs non cycliques et énergétiques. De ce fait, les hybrides corporate résistent bien dans les phases de croissance plus faible.

Risques pris en compte : les entreprises les moins solides et celles qui ont reçu des aides gouvernementales risquent de devoir reporter le paiement du coupon. Le coupon n’est pas perdu pour autant car l’émetteur devra le payer quand il en sera capable, sur une base cumulée. L’autre risque, celui d’extension (non-remboursement de l’obligation à la première date de rappel) reste assez rare jusqu’à maintenant en dehors du secteur immobilier. Nous nous attendons à ce que la plupart des obligations hybrides qui ont une date de rappel en 2023 soient remboursées cette année. En revanche, il se pourrait qu’un peu moins de la moitié des émetteurs décident de se refinancer autrement qu’en réémettant une nouvelle obligation hybride à cause des conditions de marché peu avantageuses. Ainsi, l’offre obligataire nette devrait être réduite, ce qui est un facteur de soutien pour la classe d’actifs.

Les obligations Additional Tier-1 (AT1) contingentes convertibles sont des instruments hybrides émis par des institutions financières européennes qui contiennent une clause exigeant qu’elles soient converties en actions ordinaires en cas de stress important, comme par exemple quand le ratio de fonds propres passe en dessous d’un certain seuil ou quand un élément de non-viabilité survient comme le non-remboursement d'une dette à son échéance. Les AT1 absorbent généralement les pertes lorsque l'émetteur est en situation de stress, même s’il poursuit son activité.

Fondamentaux solides : les banques européennes bénéficient de taux d’intérêt plus élevés. Leurs revenus et leurs bénéficient ont été supérieurs aux attentes au T4 2022. Les prêts non-performants des banques de la zone euro ont continué de baisser et se sont établis à 1,8% au T3 2022. Les banques sont bien capitalisées, avec un ratio moyen de Common Equity Tier 1 (CET1) à 14,7% au T3 2022. 

Offre : les facteurs techniques sont favorables puisque l’offre des AT1 cette année devrait être relativement limitée et principalement constituée de refinancements.

Rendement élevé : 8,4% de rendement moyen au 12 janvier, soit plus que la dette High Yield (7,5%) pour une volatilité moindre et une sensibilité aux taux d’intérêt identique.

Risques gérables : par rapport au risque d’extension, le remboursement des AT1 à la première date de rappel reste la norme. UBS par exemple, a respecté cette convention l’an dernier alors que cette décision n’était pas à son avantage sur le plan économique, ceci dans le but de ne pas contrarier les investisseurs qui auraient alors réclamé un rendement plus élevé le jour où UBS aurait voulu émettre une nouvelle AT1. En revanche, des acteurs plus petits (Raiffeisen et Banco Sabadell) n’ont pas respecté cette convention de marché l’an dernier car ils étaient dans l’incapacité de réémettre une AT1 à un coût raisonnable. Un autre risque est le celui de la conversion forcée de l’obligation en action en cas de survenance d’un événement déclencheur. Ce risque parait faible car les banques sont en moyenne bien capitalisées. Enfin, le troisième risque est celui du non-paiement du coupon. Il n’entraine pas de procédure de défaut dans le cadre des AT1.

 

Opportunités dans les obligations émergentes

Meilleur contexte : la plupart des risques qui pesaient sur les obligations émergentes, comme, l’évolution de l’inflation, la politique monétaire, la géopolitique etc sont connus et bien pris en compte par le marché. Le sentiment sur la classe d’actifs s’améliore depuis que l’inflation se tasse, que la Réserve fédérale américaine ralentit son rythme de resserrement monétaire et que la Chine a décidé d’abandonner sa politique « zéro Covid ».

Meilleure croissance : les indicateurs d’activité de décembre étaient en moyenne en progression dans les pays émergents alors qu’ils ralentissaient dans les pays développés. Pour 2023 et 2024, nous anticipons une croissance économique supérieure pour les pays émergents que pour les pays développés. Cette croissance supplémentaire constitue un facteur de soutien pour les spreads de crédit.

Tournant proche pour les banques centrales : les banques centrales des pays émergents avaient rapidement réagi à la remontée de l’inflation, bien avant les banques centrales des pays développés. Elles se retrouvent donc maintenant dans une situation plus favorable, avec des taux réels positifs en moyenne. Certaines sont proches de leur taux de fin de cycle, et d’autres l’ont déjà atteint et seront donc en mesure de stimuler leur économie avec des baisses de taux directeurs.

Pic du dollar atteint : le dollar pourrait faiblir en raison du risque de récession aux États-Unis et la fin du cycle de remontée des taux directeurs de la Réserve fédérale. Un dollar plus faible fait que les émissions en devise forte et celles en devise locale couverte contre le risque de change deviennent moins chère à émettre. Cela implique un taux de défaut moindre qu’en 2022 (2022 ayant aussi été fortement impactée par les défauts en Russie et ceux de promoteurs immobiliers en Chine) pour les obligations émergentes en devise forte, ainsi qu’une meilleure performance pour les obligations en devise locale. Par ailleurs, les devises émergentes sont en moyenne sous évaluées par rapport à leur moyenne de long terme.

Rendements élevés : le rendement moyen à maturité est de 7,5% pour la dette émergente en devise forte (indice JPM EMBI Global) et 6,6% pour celle en devise locale (indice JPM GBI EM Global Diversified Composite).