La courbe des taux américaine s’est inversée, partiellement. Faut-il s’inquiéter?
L’inversion d’une portion de la courbe des taux américaine a provoqué des émois sur les marchés. Ces réactions sont exagérées d’après nous. La récession n’est pas pour 2019.
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“La pente de la courbe des taux américaine est scrutée de près par les marchés et par la Réserve fédérale américaine (Fed). En effet, l’inversion de la courbe des taux est généralement annonciatrice d’une récession : les taux de long terme deviennent plus bas que les taux de court terme, ce qui pousse les banques à réduire voire stopper les crédits accordés aux entreprises, entraînant par là même une réduction de l’activité et potentiellement une récession dans les 12 à 16 mois suivants.”
EDOUARD DESBONNETS
Investment Advisor, Fixed Income
De quelle courbe des taux parle-t-on ?
Le marché a tendance à observer la courbe entre les taux à 2 et 10 ans. La Fed, qui a un impact direct sur les taux très courts, préfère la courbe entre les taux à 3 mois et le 10 ans. La littérature financière fourmille d’analyses avec d’autres courbes.
En temps normal la courbe des taux est pentue: les taux de long terme sont plus élevés que les taux de court terme car les investisseurs préfèrent la liquidité de court terme et donc réclameront une rémunération supplémentaire pour placer leur argent à long terme
L’écart entre les taux permet de calculer des probabilités de récession à horizon 12 mois grâce à des modèles statistiques. Les résultats varient : 16% de probabilité de récession dans un an pour le modèle officiel de la Fed ; 27% pour le modèle basé sur la courbe 2 ans -10 ans car l’écart de taux n’est plus que de 13 points de base.
Ces probabilités peuvent paraître faibles, mais les récessions passées ne sont pas survenues quand les probabilités avaient atteint 100%, mais quand elles avaient dépassé 30%, d’où le climat tendu sur les marchés
Pourquoi la courbe des taux s’est aplatie ?
La courbe des taux s’aplatit quand l’écart entre les taux de long terme et ceux de court terme se réduit.
Le rendement à 2 ans a chuté de 10 points de base suite au discours plus prudent de Powell, passant de 2,80% à 2,70%. Le président de la Fed avait déclaré que les taux directeurs étaient actuellement juste en dessous du taux neutre, le taux qui ne stimule pas mais ne freine pas non plus l’économie. Il a ainsi entrouvert la porte à un ralentissement dans le cycle de resserrement monétaire.
Le rendement obligataire à 10 ans s’est violemment détendu, passant de 3,06% fin novembre à 2,85%. Le mouvement, avait été initié par la baisse des attentes d’inflation, en corrélation étroite avec la chute du prix du baril de pétrole. Puis, les taux ont continué à se détendre du fait de l’aversion au risque (élargissement des écarts de rendement sur le crédit, baisse du marché actions), générée par le ton plus prudent de Powell et de statistiques d’inflation sous les attentes. Les risques géopolitiques (tensions commerciales entre les Etats-Unis et la Chine, exacerbées par l’arrestation de directrice financière du groupe chinois Huawei) ont également poussé les investisseurs à se réfugier vers des actifs plus surs.
L’aplatissement de la courbe des taux n’est pas anormale à ce stade car l’économie est bien avancée dans le cycle de crédit. L’aplatissement reflète le sentiment du marché que la croissance américaine va décélérer, que l’économie ne sera pas en capacité de générer de l’inflation et que la Fed ne sera pas en mesure de monter ses taux directeurs trois fois l’année prochaine
La courbe des taux est-elle inversée aujourd’hui?
Non. Seule une portion de la courbe des taux est inversée, la partie 3 ans – 5 ans puisque le rendement à 3 ans est à 2,72% et que celui à 5 ans est à 2,71%.
Est-ce suffisant pour craindre une récession à court terme?
Non. La courbe des taux s’est fréquemment inversée partiellement depuis la dernière crise. L’analyse du passé montre que les récessions sont précédées d’une inversion de la courbe des taux sur presque toutes (75%) les maturités. On en est loin aujourd’hui (11%). D’autre part, la croissance reste solide et la Fed est loin de vouloir baisser ses taux, et donc de signaler au marché qu’elle anticipe un fort ralentissement économique.
A quoi s’attendre ?
La Fed devrait relever ses taux une dernière fois cette année lors de sa prochaine réunion les 18-19 décembre. Cela est largement anticipé par le marché.
Pour 2019, la Fed anticipait 3 hausses de taux. Il est probable qu’elle revoit ses prévisions à la baisse. Nous anticipons deux hausses de taux pour l’année prochaine, soit une de plus que le marché, qui a probablement sur-réagit aux propos de Powell. L’activité reste soutenue aux Etats-Unis et le marché de l’emploi est toujours très dynamique. Les taux de long terme devraient se tendre à nouveau. Notre objectif est à 3,25% pour le taux à 10 ans dans 12 mois.
Au-delà de la discussion sur l’inversion de la courbe des taux comme indicateur d’une récession à venir, un autre modèle mérite qu’on y prête attention. En effet, les récessions passées se sont produites lorsque la Fed a poussé ses taux directeurs (en termes réels) au-delà du taux de croissance potentielle de l’économie. Aujourd’hui, avec des taux directeurs dans une fourchette 2-2,25% et une inflation à 2%, les taux réels sont proches de zéro, donc encore bien inférieurs au PIB potentiel américain.
Est-ce une menace majeure pour les marchés actions?
Comme la vaste majorité des marchés baissiers se matérialise lorsqu’une récession se profile à l’horizon et que les récessions sont habituellement précédées par une inversion de la courbe des taux, la survenance de cette dernière devrait alerter les investisseurs en actions.
L’observation du comportement des marchés financiers au cours des 50 dernières années montre cependant qu’il n’y a pas d’urgence à sortir des marchés actions. En effet, dans les 12 mois qui précèdent une inversion de la courbe des taux, le S&P500 délivre en moyenne une performance de 15%. De plus, dans les mois qui suivent une inversion de la courbe des taux, les bourses continuent à progresser, de plus de 20% en moyenne jusqu’au sommet.
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“Il est dès lors important de faire attention à ne pas sortir trop tôt des marchés actions une fois que se concrétise une inversion de la courbe des taux. Rappelons que cette inversion ne s’est pas encore produite.”
ROGER KELLER
Chief Investment Advisor