#Investissements — 13.06.2017

Actions : L’automobile, une industrie en transformation

Guillaume Duchesne

Des opportunités, mais aussi des risques pour les constructeurs

Ces dernières années, l’industrie automobile a été animée par une succession d’évènements marquants: scandale du diesel, innovations technologiques, et plus récemment craintes d’un regain de protectionnisme. Face à cet environnement changeant, les constructeurs automobiles réussissent, avec un succès variable, à tirer leur épingle d’un jeu devenu beaucoup plus complexe.  

Le secteur de l’automobile a repris des couleurs depuis ses points bas de 2016. Fortement cyclique, il a pleinement bénéficié des effets de la reflation dans les pays développés ainsi que de la reprise des ventes, notamment en Chine. Malgré ce rebond, il s’échange toujours à des niveaux de valorisation très attrayants en Europe. Le ratio Cours/Bénéfices s’élève actuellement à moins de 8, bien en-dessous de ses moyennes historiques. Cette faible valorisation peut sembler intéressante au moment où les opportunités d’achat se font plus rares sur des marchés boursiers surachetés. Pour autant, un investisseur averti se doit de prendre en compte plusieurs aspects de l’industrie automobile au-delà de sa simple valorisation :   

 

DES CYCLES NON SYNCHRONISÉS ENTRE LES DIFFÉRENTES RÉGIONS

Le cycle de ventes est mature aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. L’environnement économique plus favorable (reprise de l’emploi, hausse de la consommation et taux d’intérêt faibles) y a soutenu les ventes, reparties à la hausse dès 2010.  Aujourd’hui,  les ventes de véhicules ont tendance à se tasser aux Etats-Unis, les rabais sur les voitures neuves atteignent 12% tandis que les stocks disponibles ont augmenté légèrement.

De plus, le parc automobile américain ayant été largement renouvelé au cours des dernières années, le prix des voitures d’occasion, sans s’effondrer, tend à baisser et s’éloigne progressivement de ses records de 2016. Cette baisse du prix de l’occasion altère les conditions de leasing en réduisant la valeur résiduelle des voitures et représente un risque pour les prêts dont le capital dû est supérieur à la valeur de la voiture (« negative equity position »). D’aucuns commencent donc à s’inquiéter du niveau record des prêts auto et de leur concentration dans les établissements bancaires américains. De nombreux prêts à risque (« subprime ») ont été accordés dans un contexte économique favorable. Ils n’ont cessé de croître depuis trois ans et représentent aujourd’hui près de 11% des prêts auto américains. Le nombre de défaillances sur les prêts, bien qu’en hausse, reste à des niveaux acceptables à ce jour, mais pourrait progresser en cas de retournement de conjoncture. Les valeurs les plus exposées au marché américain sont les « big Three » (GM, Ford et Fiat-Chrysler) et Toyota.

Le redémarrage du marché automobile en zone euro a en revanche été plus tardif (en 2014), la zone étant moins avancée dans son cycle économique. Le marché européen a longtemps été pénalisé par la crise financière de 2008, puis par celle de l’euro en 2011. Celles-ci ont obéré le pouvoir d’achat des consommateurs européens qui ont reporté leurs achats. Le parc d’automobiles est en conséquence assez ancien en Europe, en particulier en Italie, Espagne et France. Avec l’amélioration attendue, même progressive, de la demande domestique, les ventes sont susceptibles de poursuivre leur progression. Les valeurs exposées au marché européen continental (PSA, Renault, VW) sont a priori les premières bénéficiaires de ce regain d’intérêt.

Au sein des économies émergentes, la visibilité sur l’économie chinoise reste clé pour les constructeurs automobiles. Durant les prochaines années, les ventes risquent toutefois de se tasser en Chine. Les effets fiscaux seront en effet moins favorables à court terme. Le gouvernement chinois, inquiet d’un ralentissement économique en 2015, a soutenu la croissance du marché de l’automobile par des réductions d’impôt d’octobre 2015 à décembre 2016. L’effet sur les ventes a été positif (+15% de ventes en 2016). Sans ces incitants fiscaux, la croissance des ventes en 2017 devrait donc être mécaniquement plus faible. Le taux de croissance annuel attendu devrait avoisiner 5% (contre 10% entre 2011 et 2015). Toutefois, l’engouement pour les SUV (sport utility vehicle) peut continuer à offrir de larges débouchés pour les constructeurs. Les ventes de ces véhicules pèsent aujourd’hui pour 40% des ventes totales en Chine (contre 10% en 2010). De même, les ventes de véhicules premium (Mercedes, Jaguar, BMW, notamment) sont solides à ce jour et le taux de pénétration potentiel y est encore élevé.    

Tous les marchés émergents ne sont pas aussi matures qu’en Chine. La croissance du marché indien reste élevée (+7% en 2016) grâce à un bon environnement économique. Certains pays émergents laissent par ailleurs augurer une reprise de leur marché local. Le Brésil et la Russie pourraient offrir des relais de croissance intéressants après une année de récession économique. C’est déjà le cas en Russie où les ventes progressent à nouveau depuis peu (+9% en glissement annuel en mars 2017) tandis que les ventes sont encore déprimées au Brésil.

 

EN EUROPE, L’ÉVOLUTION DES TAUX DE CHANGE EST CRUCIALE

L’euro s’est fortement apprécié ces dernières semaines. Grands exportateurs, les constructeurs européens sont particulièrement sensibles aux mouvements des devises. Une baisse de l’euro serait une excellente nouvelle pour la plupart d’entre eux.

 

DES CHANGEMENTS STRUCTURELS : MENACES OU OPPORTUNITÉS ?

L’industrie automobile doit aussi faire face à des transformations structurelles majeures:

Les enjeux écologiques et énergétiques sont importants. Malgré la décision de Président Trump de sortir des accords de Paris, la plupart des responsables politiques conservent des objectifs clairs de réduction d’émission de gaz polluants. Plus important encore, les entreprises ont déjà anticipé l’évolution des législations, en intégrant des mesures écologiques dans leurs décisions d’investissement. Cette volonté ferme de la réduction des émissions pousse donc de manière irréversible les constructeurs à adapter leur offre de véhicules. Depuis le scandale Volkswagen, une tendance se dessine dans le secteur: le diesel perd progressivement du terrain (56% de la demande totale de voitures en Europe en 2011, 49% en 2016) au profit de l’essence et de l’hybride qui n’est toutefois pas aussi rentable que le diesel. Quant à l’électrique, il est plutôt un enjeu de long terme et implique des dépenses importantes de R&D. Les projets de voitures électriques se multiplient néanmoins partout dans le monde, y compris en Chine (NextEV, notamment). Leur rentabilité dépendra de l’évolution des prix des batteries électriques et du développement des infrastructures. Prendre le tournant de ces mutations reste crucial pour les constructeurs historiques tout comme pour les gouvernements qui y voient une source de croissance économique future et un pourvoyeur d’emplois.

Les nouvelles technologies transforment le métier. Les innovations les plus prometteuses (logiciel, internet et big data) viennent d’entreprises du monde de la technologie qui se trouvent en dehors de l’écosystème traditionnel de l’industrie automobile. La conduite assistée, l’autonomie des véhicules, les véhicules connectés,… constituent quelques défis pour les constructeurs. Selon PricewaterhouseCoopers, les composantes électroniques totaliseront près de 50% du coût total du véhicule en 2030 (contre 30% aujourd’hui). Dans ces conditions, de nouveaux entrants issus de la Tech (Apple notamment) lorgnent sur le marché de l’automobile. Les constructeurs historiques doivent donc impérativement s’adapter à cette nouvelle concurrence disruptive.

Les préférences des consommateurs évoluent. L’utilisation de véhicules partagés dans les centres urbains et de voitures électriques ainsi que le boom des SUV ont un effet évident sur les profils de ventes des constructeurs. 

 

Ces transformations technologiques offrent de nouvelles opportunités pour les constructeurs. Avec un contenu en constante évolution, leur succès n’est pas garanti.  En revanche, les entreprises de la technologie – semi-conducteurs, notamment – ont une expertise dans le domaine et profitent par ailleurs de la même multiplication de l’utilisation de composantes électroniques dans l’industrie manufacturière et dans les produits de consommation. Ce sont donc avant tout elles les grandes gagnantes des mutations en cours dans le secteur de l’automobile.