#Investissements — 15.06.2018

Cascade de décisions de banques centrales

Edouard Desbonnets

La Fed continue son cycle de resserrement monétaire. La BCE s’apprête à emboîter le pas de la Fed. Les banques centrales de Chine et du Japon restent prudentes.

La Réserve fédérale américaine

Mercredi 13 juin, la Réserve fédérale américaine (Fed) a monté ses taux de 25 points de base pour porter sa fourchette de taux fed funds à 1,75%-2%. Cette décision (unanime) était largement attendue par les marchés, tant les dernières données macroéconomiques étaient robustes.

C’est d’ailleurs ainsi que Jerome Powell, président de la Fed, a commencé sa conférence de presse: « l’économie se porte très bien ». Effectivement, la croissance est forte, le chômage est bas et l’inflation reste contenue proche des 2%. Toutes les cases étaient donc cochées pour accueillir sans surprise, et donc sans secousses sur les marchés, la septième hausse de taux dans le cycle de resserrement monétaire entamé fin 2015. Les conditions financières restant accommodantes d’après la Fed, d’autres hausses de taux sont à prévoir. 

L’attention des analystes s’est portée sur les nouvelles anticipations de la Fed, tant sur les données macroéconomiques que sur les taux.

Les changements macroéconomiques sont relativement mineurs. La Fed anticipe un peu plus de croissance cette année (2,8% contre 2,7% anticipé en mars). Elle a revu ses projections de taux de chômage à la baisse: 3,6% pour 2018 (-0,2%) et 3,5% (-0,1%) en 2019 et 2020. L’inflation a été revue marginalement à la hausse pour 2018: 2,1% (+0,2%) et pour 2019: 2,1% (+0,1%). Elle reste donc autour du niveau cible de 2%. Powell s’est pourtant gardé de crier victoire sur l’inflation et a insisté sur le fait qu’il n’allait pas réagir si elle s’éloignait temporairement de la cible. Il faisait là référence au fait que l’inflation devrait accélérer dans les prochains mois du fait de la hausse des prix du pétrole. Le moteur de l’inflation à moyen terme est lié à la progression des salaires dans un contexte de marché de l’emploi tendu. Ces changements macroéconomiques reflètent en somme les conséquences de la politique fiscale (baisse des impôts pour les particuliers et les entreprises, augmentation des dépenses du gouvernement). Ils indiquent que les effets escomptés seront de courte durée car la croissance de long terme attendue par la Fed n’est que de 1,8%.

Au niveau des projections de hausses de taux, la Fed a avancé dans le temps son cycle de hausses de taux. Elle anticipe dorénavant deux hausses de taux supplémentaires d’ici la fin de l’année, soit une de plus qu’auparavant, et retire une hausse de taux anticipée en 2020. La nouvelle séquence est donc: deux hausses encore pour cette année, trois pour 2019 et une pour 2020. Ce scénario se base sur la médiane des avis des 15 participants, et autant la dispersion des avis est faible pour 2018, autant on ne voit pas de consensus clair pour 2020. Quoiqu’il en soit, cela porte le taux médian de fin de cycle à 3,375%.

La séquence de la Fed est maintenant relativement proche de la nôtre puisque nous anticipons également deux hausses de taux supplémentaires pour cette année (septembre et décembre) et deux hausses de taux pour 2019. La différence, c’est que nous pensons que le cycle de resserrement monétaire s’arrêtera en 2019 car la croissance devrait décélérer et donc notre taux de fin de cycle est de 3%.

La Fed entend améliorer sa communication vers les marchés et va donc organiser dès l’année prochaine des conférences de presse après chaque réunion, contre une sur deux actuellement. La conséquence sous-jacente est qu’elle se donne donc plus de flexibilité vu qu’elle avait pris l’habitude de ne pas prendre de décision importante quand il n’y avait pas de conférence de presse.

Pour finir, on note que le conseil des gouverneurs devrait voir arriver prochainement deux nouveaux membres, Richard Clarida en tant que vice président et Michelle Bowman,  puisque qu’ils ont été approuvés par la commission bancaire du Sénat. Il ne leur reste donc plus qu’à obtenir l’aval du Sénat au complet. Tous deux sont vus comme plutôt centristes et devraient donc pousser l’avis général du conseil des gouverneurs à sortir encore un peu plus de son biais dovish (partisan d’une politique monétaire accommodante).

La Banque centrale chinoise

La Banque centrale chinoise (People’s Bank Of China - PBOC) se réunissait juste après la Fed. Le marché s’attendait à ce que la PBOC suive plus ou moins le mouvement de la Fed afin d’éviter le risque de fuite de capitaux, mais cela n’a pas été le cas. La PBOC a décidé de laisser ses taux inchangés à 2,55% du fait de risques internes et externes. En effet, même si les statistiques économiques sont en progression, elles augmentent moins vite qu’avant. Cela est notamment lié à la lutte contre le shadow banking (instruments de crédit non régulés) menée par le gouvernement, qui participe à resserrer le crédit. D’autre part, la PBOC a certainement voulu se montrer prudente, dans un contexte de tensions commerciales avec les Etats-Unis, à la veille de la publication de la liste des produits chinois que les américains s’apprêtent à taxer davantage. 

La Banque centrale européenne

Le 6 juin, Peter Praet, chef économiste de la BCE et plutôt dovish, avait fait réagir le marché dans un discours où il affichait sa confiance dans la trajectoire que prend l’inflation. En faisant un certain nombre d’hypothèses, il en concluait que l’inflation atteindrait un niveau inférieur mais proche de 2% à moyen terme, ce qui représente le niveau cible de la BCE.

La BCE a confirmé ces données dans ses nouvelles projections économiques. Elle a effectivement révisé ses chiffres d’inflation à la hausse à 1,7% (+0,3%) pour 2018 et 2019 du fait de l’appréciation du prix du pétrole et de plus de pressions salariales liées à un haut niveau d’emploi. En termes de croissance, la BCE a revu ses prévisions à la baisse pour 2018 à cause du risque protectionniste et des tensions commerciales: 2,1% contre 2,4% auparavant, mais a maintenu ses attentes de 1,9% en 2019 et 1,7% en 2020.

Fort de ses projections d’inflation proche de la cible, et après cinq années de croissance, la BCE a annoncé vouloir tourner progressivement la page d’une politique monétaire très laxiste. Elle a donc officialisé son intention d’en terminer avec le programme d’achat d’actifs à la fin de l’année. Ainsi, elle continuera à acheter des actifs (obligations souveraines principalement) à hauteur de 30 Md d’euros par mois jusqu’en septembre, puis elle réduira ses achats à 15 milliards jusqu’en décembre. L’an prochain, elle n’achètera donc plus d’actifs, mais se contentera de réinvestir les obligations arrivant à maturité. Ceci ne sera pas neutre puisqu’on les estime à un peu plus de 15 milliards par mois en 2019, mais cela représente tout de même une baisse des achats globaux (nets et bruts/réinvestissements) de l’ordre de 50%.

La BCE a toutefois tempéré ses propos de normalisation de politique monétaire en soulignant que les taux allaient rester bas encore longtemps, et en précisant, au moins jusqu’à l’été 2019. Ces propos ont fait déprécier l’euro et baisser les rendements obligataires car le marché avait déjà intégré dans les cours une hausse de 10 points de base du taux de dépôt dès juin 2019.

Cette grande prudence nous oblige également à décaler quelque peu notre scénario dans le temps. Nous repoussons donc nos attentes de hausse de taux de dépôt initialement prévue pour juin 2019, à septembre 2019, mais maintenons une hausse du taux directeur à fin décembre 2019.

La Banque du Japon

La BoJ (Bank of Japan) a confirmé, sans grande surprise vu le recul récent de l’inflation, garder ses taux inchangés à -0,1% et maintenir le rendement à 10 ans autour de 0%. Le rythme des achats d’actifs est lui aussi inchangé. Le marché n’anticipe pas de retour de l’inflation à 2% avant 2023. La BoJ, dont le mandat est de garantir la stabilité des prix à 2% et la stabilité du système financier, risque donc d’être la dernière des grandes banques centrales à garder une politique monétaire très accommodante pendant encore quelques années. 

Conclusion et réactions de marché

La décision de la Fed était largement attendue, ce qui a expliqué le peu de réaction de marché après l’annonce. Ce n’était en revanche pas le cas pour la BCE, qui s’est montrée dovish alors que son message de mettre fin au programme d’achat d’actifs ne l’est pas en soi. La BCE a réussi à rassurer le marché en promettant des taux bas pour longtemps. Cela explique que le rendement des obligations allemandes à 10 ans s’est détendu à 0,43% (-6pb sur la journée) et que le rendement italien a baissé dans le même ordre de grandeur, alors que le rendement américain à 10 ans n’a perdu que 2pb à 2,94%. La plus grosse variation a été sur le marché des changes. L’euro s’est déprécié de plus de 2%, passant sous les 1,16 contre le dollar, ce qui a permis à l’eurostoxx 50 de gagner plus que le S&P 500 (1,37% et 0,25% respectivement).