Investissements alternatifs : “Welcome to the Machine”
Quand Pink Floyd a écrit cette chanson il y a plus de 40 ans, c’était avec un mépris total vis-à-vis de l’industrie musicale dont la priorité était aux bénéfices avant la qualité. Il se trouve que l’album de cette chanson est sorti la même année qu’un des premiers PC grand public, l’Altair 8800, commercialisé par la société américaine, MITS. C’était le début de la révolution du micro-ordinateur qui allait se poursuivre durant une vingtaine d’années. Sont ensuite venus Internet, la révolution digitale, le « Big Data » et la naissance de l’Intelligence Artificielle. Ainsi, nous nous trouvons aujourd’hui dans un monde qui n’a jamais autant dépendu des machines et de la technologie.
D’un côté, la méfiance et l’angoisse à l’égard de ces changements technologiques font parties de la nature humaine. D’un autre côté, l’innovation technologique fut accueillie très favorablement comme une manière d’améliorer notre quotidien. Cette appréhension se retrouve dans les décisions d’investissement, et va bien au-delà de la simple peur de l’inconnu.
Cependant, le comportement humain ne s’avère pas toujours rationnel et les décisions d’investissement ne font pas exception. Ce qui m’amène à notre sujet du jour : une approche d’investissement systématique et quantitatif via une stratégie alternative connue sous le nom de « CTA ».
De quoi s’agit-il ?
Les CTA sont essentiellement des modèles algorithmiques conçus pour suivre des tendances d’évolution de prix d’actifs à travers un vaste éventail de marchés financiers organisés et très liquides. Avant tout, ils suivent de manière habile le « momentum » ou les tendances tout en contrôlant leurs niveaux de risque (mesuré généralement par la volatilité) d’exposition par l’ajustement de la taille de leurs positions.
Le poids de la position est inversement proportionnel à la durée de la tendance. C’est-à-dire, lorsque le prix d’un actif progresse d’un point A vers un point B, le CTA va progressivement réduire sa position sur la durée jusqu’au point B (potentiellement un point d’inflexion dans l’évolution du prix). Les CTA savent prendre leurs bénéfices, ils sont technologiques et n’ont pas de biais émotionnels dans leur prise de décisions d’investissements.
Où investissent-ils ?
Dans toute classe d’actif, dans tout marché, n’importe où dans le monde, tant que le marché est suffisamment liquide. Les plus complets peuvent investir dans 400 marchés différents en même temps.
D’où viennent leurs sources d’information ?
L’information est l’élément clé, et ceci est synonyme d’un traitement efficace des données. On assiste aujourd’hui à une explosion du nombre de données disponibles. La quantité de data produite en 2014/2015 est supérieure à la somme de toute les années précédentes (de l’histoire de l’humanité) ; et pourtant, on estime qu’uniquement 0,5% de ces données ont été exploitées à aujourd’hui.
La recherche est au cœur du développement des stratégies CTA, et les équipes cherchent constamment des nouvelles sources de données pour pouvoir identifier de nouvelles tendances, les tester de manière rigoureuse en « laboratoire » avant de les intégrer dans leurs modèles. Ainsi, les modèles évoluent en permanence et l’explosion d’information est leur terrain de jeu. Le point essentiel pour les CTA est de bien maitriser leurs sources afin de s’assurer que leurs données sont fiables avant de les intégrer dans leurs modèles.
Qui se cache derrière ces « machines » ?
Les CTA favorisent les profils provenant d’univers extrêmement différents de ceux des gérants d’actifs traditionnels. On retrouve ainsi généralement des ingénieurs, des mathématiciens ou des scientifiques. Rassurez-vous, des experts financiers restent toujours impliqués dans le processus d’investissement.
Retrouve-t-on de grands principes d’allocation d’actif et de construction de portefeuille dans ces modèles ?
Absolument. Ce n’est pas que de la recherche scientifique révolutionnaire. Les principes de la construction et de la gestion des risques de portefeuille sont des pierres angulaires du processus de gestion des CTA. Une fois de plus, une bonne gestion des données est clé pour comparer et comprendre les différents niveaux de corrélation entre les différentes stratégies d’investissement et les marchés financiers.
Les frais de transactions sont soigneusement examinés par rapport aux volumes traités sur les marchés afin de trouver un équilibre optimum entre les coûts et les bénéfices.
Comment se comportent-ils ?
En un mot, différemment. Malgré leur relation indissociable avec le suivi des tendances, que je viens de vous exposer, vous ne serez pas surpris si je vous dis que rien ne ressemble à un CTA : leurs employés, leurs domaines de compétences, leurs univers d’investissement, leur processus, et l’absence de l’influence humaine dans leurs processus de décision… Les corrélations aux grands indices boursiers et aux autres fonds d’investissement spécialisés dans des classes d’actif spécifiques sont historiquement faibles, voire négatives.
Comme déjà mentionné dans nos précédents articles, les stratégies alternatives cherchent à fournir de différentes sources de performance d’investissement potentielle, des rendements peu corrélés, et une diversification par rapport aux classes d’actif traditionnelles. Le CTA respecte ces principes, et il mérite, à mon sens, d’être considéré dans la recherche de nouvelles sources de rendement dans un portefeuille d’investissement diversifié.
“The Dark Side of The Moon”[1] (Le côté obscur de la lune) est un album qui traite de l’irrationalité du mouvement de foule et conclue sur le fait que tenter de convaincre les gens à ne pas suivre la masse, génère in fine un sentiment d’illusion. C’est aussi un album formidable à la pointe des avancements technologiques en matière de techniques d’enregistrement de son époque…
“…and everything under the sun is in tune but the sun is eclipsed by the moon. There is no dark side of the moon really.” [2]
(et tout qui se trouve sous le soleil est en harmonie, mais le soleil est éclipsé par la lune. Il n’y a pas en réalité de côté obscure de la lune.)
A la prochaine…
[1] Pink Floyd, 1973
[2] Eclipse, Pink Floyd, 1973