#Stratégie d'investissement — 29.04.2016

Corrélation d’un jour, corrélation pas pour toujours !

Sophie de La Chapelle

La corrélation ou intensité de la relation entre 2 actifs est souvent considérée comme fixe. Or il n’en est rien…

Dans toute réflexion d’allocations d’actifs, afin de définir la structure de portefeuille pertinente, il est clé de bien diversifier, c’est-à-dire de bien actionner 3 paramètres-clés : le profil rendement/risque de chaque classe d’actifs, la sensibilité de chacune d’elles aux facteurs économiques (en particulier à la croissance et à l’inflation) et enfin, et surtout, leurs corrélations mutuelles. L’analyse des corrélations constitue ainsi une étape importante de la construction de portefeuille. En particulier, l’investisseur doit être conscient que les corrélations peuvent fluctuer dans le temps, car, en considérant que les corrélations sont stables dans le temps, il risque de sous-estimer le risque du portefeuille et de surestimer les bénéfices issus de la diversification.

C’est pourquoi il me semble essentiel de nous concentrer sur cette statistique et sur ses fondamentaux afin d’être non seulement vigilant dans leur utilisation dans le processus de construction de portefeuille mais également lucide sur les limites potentielles de l’exercice.
 

Mais que se cache-t-il exactement derrière le terme de corrélation ? Quelles en sont les clés de compréhension ?
 

Quand on entend des professionnels parler de corrélation, ils font souvent référence aux actions et aux obligations. La principale raison en est la suivante : la façon dont votre patrimoine est réparti entre ces deux classes d’actifs est considérée comme un élément-clé de la diversification. Les actions représentent des titres d’une entreprise cotée, dont les prix varient chaque seconde. Ce sont des actifs de choix quand les investisseurs sont prêts à prendre davantage de risque dans l’espoir de gains élevés. Au contraire, les obligations représentent des dettes émises par des entreprises, des institutions ou même des gouvernements. Les prix de ces obligations peuvent également varier mais sont toutefois, en général, moins volatils que les actions. Les actions et les obligations ont tendance à avoir une relation inverse. Les actions tendent à s’apprécier quand la croissance économique s’accélère. A l’opposé, les investisseurs recherchent à investir plutôt en obligations ou en fonds obligataires quand ils sont anxieux vis-à-vis de l’avenir et veulent mettre leur argent à l’abri.
 

Quel est son rôle dans le portefeuille ?
 

Ainsi, un mélange d’actions et d’obligations est gage d’un portefeuille diversifié car quand les actions montent, les obligations ont tendance à baisser et vice-versa.  Autrement dit, les actions et les obligations sont négativement corrélés. En conséquence, on protège ainsi son portefeuille contre les fluctuations d'une de ces deux classes d'actifs et on optimise le niveau de risque de son portefeuille.
 

Evolue-t-elle dans le temps ?
 

Arrêtons-nous un moment sur la nature et les caractéristiques de cette corrélation. Une corrélation est une mesure statistique, calculée sur des données (rentabilités) passées, or, contrairement à ce qu’on pourrait présager, elle n’est absolument pas fixe et peut varier dans le temps. Ainsi, historiquement, on constate en effet une évolution divergente entre les marchés actions et obligataires. Toutefois, cette tendance de long terme peut fluctuer à plus court terme dans certaines situations de marché. Prenons par exemple deux intervalles de temps spécifiques : la crise de 2007-2009 et la période d’assouplissement monétaire aux Etats-Unis durant laquelle la banque centrale américaine a injecté massivement des liquidités dans le marché.

  • La crise des subprimes de 2007-2009 a été un exemple typique de changement dans les corrélations entre différentes classes d’actifs. Après la faillite de de Lehman Brothers, les investisseurs étaient contraints de liquider leurs portefeuilles d’actifs, cédant à tout prix, ce qui s’était traduit par une re-corrélation des différentes classes d’actifs. Hormis la détention de cash (liquidités), l’investisseur n’avait peu voire pas d’endroit où se réfugier. Les propriétés diversifiantes à long terme des obligations par rapport aux actions avaient dès lors temporairement disparu.

  • La période plus récente d’assouplissement monétaire par la banque centrale américaine est également un très bon exemple de période où les corrélations ont été temporairement chamboulées. En effet, la banque centrale américaine a contribué à la fois à la baisse des taux d’intérêts des obligations, ce qui fait monter le prix des obligations, et à la hausse des marchés actions (recherche de rendement plus élevés que sur les placements monétaires et obligataires). Les actions et obligations se sont donc temporairement re-corrélés positivement.

Finalement, la corrélation entre les actions et les obligations dépendra de facteurs macro-économiques comme l’inflation, la croissance, le taux de chômage ou encore le niveau des taux réels.

Et ce n’est bien sûr pas le seul exemple d’évolution dans le temps de la relation entre deux classes d’actifs. Intéressons-nous par exemple au pétrole et aux actions européennes. Comme on le voit dans le graphique ci-dessous, la corrélation entre le pétrole et les actions européennes a tendance à être positive (c’est-à-dire, que lorsque le pétrole grimpe, les actions européennes ont tendance également à monter). Cependant, on voit très nettement que cette corrélation est plus ou moins forte selon les périodes. Ainsi, durant la première moitié de 2015, la baisse du pétrole était plutôt perçue comme un facteur positif (cf. une baisse des coûts pour les entreprises et une augmentation de la consommation) et les actions avaient en conséquence tendance à monter. Les deux actifs étaient donc peu corrélés, voire négativement. Or, depuis fin 2015, cette relation a changé. Les actions montent quand le pétrole monte, les actions baissent quand le prix du baril recule. Comment l’expliquer? Tout d’abord, la baisse des cours du pétrole pèse, sur les perspectives économiques des pays producteurs. Ainsi, le Brésil et la Russie sont en récession. D’autre part, le secteur énergétique représente une part importante des marchés actions (les entreprises « major » type Total ou Royal Dutch Shell, mais également toutes les sociétés de services pétroliers). Enfin, la baisse du cours du pétrole rend non rentables des extractions coûteuses et met à mal le business model de certaines sociétés, notamment dans le gaz de schiste américain. Combiné à une inquiétude sur les perspectives de croissance, ceci a donc contribué mécaniquement à tirer les marchés actions à la baisse depuis le début de cette année.
 

Préserver les bénéfices de la diversification
 

L’analyse des corrélations est une étape importante de la construction de portefeuille. Or, au travers des exemples précédents, on comprend bien que les relations entre classes d’actifs, bien que parfois très ancrées dans la tête des investisseurs (particulièrement pour certaines), ne sont pas stables dans le temps…, les situations les plus radicales d’instabilité étant évidemment les périodes de stress de marché qui mettent fortement à mal ces relations puisqu’on parle alors de « ruptures de corrélations » (de façon empirique, on constate en effet que les corrélations dans des situations extrêmes sont dans bien des cas très différentes de celles observées dans des conditions normales, en particulier qu’on sous-estime, dans ces périodes, la probabilité de rendements négatifs « conjoints »). L’investisseur doit être conscient de ces fluctuations et devra donc être capable de réajuster son allocation, si nécessaire, pour toujours assurer une diversification efficiente et une bonne maîtrise de son risque.

Corrélation entre le pétrole et les actions européennes

Afin de mesurer la corrélation, on calcule le coefficient de corrélation. Celui-ci est toujours compris entre -1 et 1. Ainsi, deux variables avec un coefficient de corrélation proche de 1 évolueront de façon très semblable. A contrario, si ce coefficient est proche de -1, elles évolueront en sens inverse. Enfin, si ce coefficient est proche de 0, les deux variables sont considérées comme indépendantes et dites décorrélées. Source : Bloomberg, corrélation sur 120 jours du pétrole (Brent) et de l’Eurostoxx 50.