Connaissez-vous la philanthropie européenne ?
La philanthropie en Europe continentale évolue et développe de nouvelles pratiques, inspirée des exemples anglo-saxons, tout en gardant des spécificités propres à notre culture. Nathalie Sauvanet pointe trois tendances-clés de cette philanthropie « européenne ».

1. La montée en puissance des « philantrepreneurs »
Suivant en cela l’exemple anglo-saxon, de plus en plus d’entrepreneurs d’Europe continentale optent pour une démarche philanthropique inspirée des méthodes de la finance, en particulier du capital-risque. Cela signifie qu’ils s’engagent non seulement sur le plan financier avec des outils propres à leur expérience, mais mettent également leurs compétences en matière de gestion, de conseil stratégique, d’aide à la levée de fonds, de gouvernance et de mobilisation de leur réseau professionnel au bénéfice des causes qu’ils soutiennent. Ils sont en recherche d’efficacité et évaluent généralement le « retour social sur investissement ». La jeune génération d'entrepreneurs, ayant réussi dans le numérique ou le private equity, est particulièrement sensible à l'hybridation des méthodes dans un souci d'efficacité et d'impact global.
Toutefois, contrairement à ce que l’on pourrait supposer, les entrepreneurs philanthropes ne sont pas nécessairement rationnels dans le choix de la cause. Je rencontre régulièrement des entrepreneurs engagés, qui envisagent de vendre leur affaire à court ou moyen terme et qui se disent désireux de rendre à la société ce que celle-ci a pu leur apporter, notamment sur le plan éducatif. Ces personnes privilégient souvent le thème de l’insertion professionnelle des jeunes… alors qu’une démarche entrepreneuriale « rationnelle » aurait, par exemple, consisté à lancer une étude de marché pour déterminer où se situent exactement les besoins non couverts de notre société. Mais, si la détermination de la cause à soutenir résulte souvent d’un coup de cœur purement émotionnel, l’approche philanthropique repose ensuite sur une approche très rationnelle, fondée sur cette notion de performance sociétale.
En revanche, on ne peut affirmer que les philanthropes européens sont tous devenus des « venture philanthropists » ou des « philanthrocapitalistes ». Un grand nombre se montre réfractaire à toute notion « d’investissement » philanthropique. La philanthropie doit rester pour eux un moment d’émotion et de générosité, certes efficace et utile, mais qui ne doit pas être jugée en termes de performance.
2. La philanthropie familiale en question
Parmi les détenteurs de fortunes familiales, on voit se développer une réflexion axée sur la notion même de philanthropie familiale. Ils souhaitent partager avec leurs enfants, ou proches parents, les valeurs humanistes du don à autrui. La philanthropie représente une valeur éducative, au point que certaines personnes envisagent d’affecter le quart, la moitié, voire l’essentiel de leur patrimoine à une fondation familiale, plutôt que de le léguer directement à des héritiers. C’est une tendance que l’on voit émerger dans plusieurs pays d’Europe continentale, particulièrement au sein de grandes lignées d’actionnaires familiaux.
Cependant, ils ne sont pas systématiquement dans une démarche de pérennisation familiale de la démarche philanthropique qu’ils ont initiée, et donc d’une fondation à durée illimitée. Ils remettent souvent en cause un principe selon lequel les héritiers devront obligatoirement assurer la relève après leur décès. « Ne pas leur imposer une telle charge » : voilà l’inquiétude que les représentants de la troisième ou quatrième génération d’une famille expriment de plus en plus souvent, notamment lorsqu’existe déjà, ou se pose la question, d’une fondation familiale.
Il s’agit d’une divergence fondamentale avec les philanthropes anglo-saxons ou même asiatiques, très demandeurs de conseils au sujet de la construction d’une fondation familiale et de la perpétuation « éternelle » de celle-ci.
3. Fondations et fonds hébergés : des outils au service de la philanthropie
L’évolution majeure de ce début du XXIe siècle est la prise de conscience qu’il n’est pas simple de « bien donner ». Dans ce contexte, la question de la structuration devient très importante. La fondation ou le fonds hébergé sont à la fois un outil d’action et de réflexion, car il impose de réfléchir à toutes les dimensions de son projet philanthropique. Ce type de structure est idéal lorsque le philanthrope a une volonté d’implication personnelle forte, de pérennisation, ou agit dans une perspective successorale.
Il n’est pas nécessairement conseillé de s’engager dans le processus de création d’une fondation, si une autre structure poursuit déjà les mêmes objectifs avec des cibles identiques. Dans ce cas, le regroupement des moyens induit un gain de temps, d’argent et d’efficacité. Je vous citerai l’exemple de ce client qui souhaitait créer une fondation ayant pour objectif la remise de prix dans le domaine médical. Le coût de l’entretien d’une telle structure, la mise sur pied d’un comité d’évaluation indépendant, la réalisation d’un appel à projets et la communication autour de celui-ci auraient coûté à peu près autant que les bourses attribuées. Dès lors, nous avons proposé à ce client de rechercher une structure existante ayant la même vocation et qui accepte de remettre des prix en son nom, avec une ligne budgétaire affectée. Il a en effet trouvé la démarche parfaitement logique et adaptée à son projet philanthropique.