Les géants du pétrole doivent se réinventer
Sommaire
- Les résultats des géants pétroliers sont plombés par de lourdes dépréciations
- Le boum de la production de pétrole de schiste aux États-Unis a fragilisé le marché
- De nombreux investissements ne sont plus rentables avec un baril de pétrole à 40 dollars
- Le groupe américain Chesapeake Energy a déjà dû déposer le bilan
- Les ténors européens comme Total et Shell se diversifient dans les énergies renouvelables

Alors que la période des bilans trimestriels bat son plein, celui du pétrole, sans surprise, reste en demi-teinte : avec l’effondrement de la demande pendant la crise du coronavirus, le cours du pétrole a littéralement plongé au premier trimestre, ce qui a mis de nombreuses entreprises pétrolières en difficulté. Et des ténors du secteur comme Royal Dutch Shell, BP ou tout récemment ENI ont annoncé qu’ils allaient prochainement déprécier entre 3,5% (ENI) et 20% de leurs actifs (Shell). Pour Total, c’est pas moins de 8,5 milliards qui partent en fumée dans l’activité des sables bitumineux.
Ces dépréciations surviennent alors que le prix du baril de Brent est désormais supérieur à 40 USD et que les marchés boursiers anticipent une reprise de la demande pour la seconde partie de l’année.
Pour comprendre cette incohérence, il faut revenir 15 ans en arrière avec l’explosion du pétrole de schiste qui a rendu les Etats-Unis autonomes. Ils contribuent désormais à 14% de la production mondiale contre 40% pour l’OPEP. Or, c’est l’OPEP qui est censée réguler les prix de cette ressource qui, je le rappelle, est rare et non renouvelable. Mais en cédant aux pressions du lobbying, L’OPEP a cédé à la tentation d’aligner le prix du baril sur les coûts de production les plus élevés. Cela a rendu le secteur globalement assez rentable, les entreprises ont pu distribuer de généreux dividendes mais désormais, le paradigme a changé : l’offre n’étant plus un problème, c’est la demande qui régule le prix.
Cela implique qu’en plus d’être un jouet géopolitique, le pétrole est corrélé plus que jamais à la croissance économique. De plus, les producteurs ont un coût de production très différent. Cela va de moins de 10 USD le baril pour l’Arabie Saoudite à 45 USD pour le pétrole de schiste américain. Pour des ténors comme Shell, ENI ou BP, le seuil de rentabilité est proche 60 USD. Début août, le baril tournait entre 40 et 45 USD. Il pourrait rapidement monter à 50-55 USD, voire 60 si le dollar baisse mais le redémarrage de la demande est trop progressif pour le modèle de croissance du secteur.
Dès lors, beaucoup s’interrogeront sur le possible obsolescence du secteur. Pour les acteurs qui ont les coûts de production les plus élevés, cela risque de devenir compliqué. Chesapeake Energy, l’ancien n°2 du gaz de schiste américain a carrément déposé le bilan à la fin du mois de juin. Car même s’il a rendu les Etats-Unis autonomes, le pétrole de schiste est un modèle très polluant mais aussi très coûteux : la durée de vie des puits est très limitée dans le temps, ce qui condamne les producteurs à un ratio de dettes très élevé pour renouveler les puits. Au-delà même de leur appartenance sectorielle, ces entreprises qui ont financiarisé à ce point leurs modèles de développement sont les premières impactées et devront revoir ces modèles.
Et pourtant juste après l’annonce de dépréciations d’actifs, le cours de Shell a à peine bougé. Tout d’abord parce que le marché avait déjà anticipé la nouvelle. Mais il y d’autres raisons : le 18 juin dernier, l’Agence Internationale de l’Energie s’associait au FMI pour recommander diverses mesures urgentes au secteur comme l’arbitrage des subsides du fossile vers le renouvelable mais aussi un plan d’investissement concret (environ 0,8% du PIB mondial/an) et court (3 ans). Bon nombre de ces entreprises pétrolières européennes, en particulier, l’ont compris et sont en train de diversifier leurs activités : vers le conseil ou l’audit mais aussi et surtout vers le renouvelable. Aujourd’hui, 40% de l’énergie produite par le pétrole peut déjà être prise en charge par le renouvelable et le chiffre progresse chaque année. On ne pourra peut-être pas se passer de pétrole mais la solution se trouve clairement dans la mixité. On le voit avec l’Europe qui dévoilait hier son plan de l’hydrogène propre. La mixité permettra aussi à ces entreprises de diminuer leur vulnérabilité aux fluctuations du pétrole.
Mais pour ces entreprises, cette mutation est aussi une occasion sans précédent de réduire leur empreinte carbone. Tous les ténors européens du pétrole qu’on vient d’évoquer ont affiché récemment leur volonté d’atteindre la neutralité carbone pour 2050. Certains ont même été pris à parti par les actionnaires, qui trouvaient que ce plan n’était pas encore assez ambitieux. C’est la preuve que les mentalités changent. Pour ce qui est de la mutation industrielle, tout n’est pas encore défini mais pour Total, ça va passer par le solaire. Pour Shell, ça sera l’offshore éolien. Mais cela inspirera le secteur, tout d’abord parce qu’ils n’ont pas le choix mais on voit, avec la crise du coronavirus qu’il y a d’autres enjeux : le renouvelable génère, par exemple, plus d’emplois que le fossile et permet une meilleure régulation du paradigme offre/demande. L’énergie restera donc un acteur incontournable de la relance et l’investisseur le meilleur vecteur de sa transition.
