Vigueur de l’euro: un drame pour les entreprises européennes ?
La BCE et les entreprises européennes face à une appréciation de presque 7% de l’euro envers le dollar ces trois derniers mois.
L’euro s’échange aujourd’hui à près de 1,20 dollars, soit une appréciation de près de 7% en trois mois. Si c’est une mauvaise nouvelle pour la Banque centrale européenne, qui y voit un risque de baisse de l’inflation, c’est aussi une mauvaise nouvelle pour les entreprises européennes. La zone euro est une économie très ouverte. Elle contribue pour 25% des exportations mondiales (contre 13% pour la Chine). De nombreuses entreprises sont donc fortement dépendantes de leurs exportations en dehors de la zone euro. Une appréciation rapide de l’euro signifie a priori des produits moins compétitifs à l’étranger.
Les mouvements importants de l’euro ont déclenché un débat concernant les effets probables sur l’activité dans la zone euro. La plupart des tests statistiques révèlent une élasticité importante de la croissance européenne aux mouvements de l’euro, mais celle-ci peut varier d’un pays et d’un secteur à un autre. Ces différences sont avant tout liées à des impacts variables du change, d’une part sur les prix des importations et donc les prix à la consommation, et d’autre part, sur le volume des exportations.
Un impact du taux de change immédiat
Une hausse de l’euro offre des produits étrangers moins chers aux acteurs économiques de la zone euro. La profitabilité des entreprises et le pouvoir d’achat des consommateurs sont tirés à la hausse. Cet effet est généralement statistiquement immédiat. L’appréciation actuelle de l’euro peut donc participer à la dynamique de la demande domestique qui, jusqu’à présent, a été solide en Europe.
Des effets sur les exportations à plus long terme
L’effet sur les exportations est plus lent. Bien que l’euro se raffermisse, il peut malgré tout rester sous-évalué. C’est le cas actuellement. Sur base du coût unitaire du travail, les économistes estiment qu’une appréciation supplémentaire de 5% du taux effectif de l’euro (*) pousserait la devise européenne dans une zone où les produits européens perdraient leur compétitivité vis-à-vis de leurs principaux partenaires commerciaux.
Cela étant dit, une variable importante reste à étudier pour mesurer correctement les effets de change : la capacité des entreprises à proposer des produits différenciés. Quand bien même un euro plus fort renchérirait les exportations des entreprises européennes, les clients de ces dernières resteraient prêts à payer plus cher pour des biens très spécifiques. L’élasticité de la demande au taux de change est en effet faible pour les produits à forte valeur ajoutée, notamment dans l’industrie, ces derniers étant difficilement substituables. En fonction de la structure sectorielle de leurs exportations, les pays de la zone euro seront donc plus ou moins vulnérables aux mouvements de change. L’Allemagne, la Belgique et les Pays-Bas apparaissent moins sensibles aux mouvements de change, à ce titre.
Autre facteur à prendre en compte : le degré d’intégration dans la chaîne de valeur mondiale. Avec l’essor du recours à des fournisseurs localisés hors zone euro, les entreprises ont fragmenté leur production et atténuent ainsi leur sensibilité aux mouvements de change. Une hausse de l’euro implique en effet une réduction du coût des produits intermédiaires. L’Allemagne est souvent citée comme une économie largement intégrée dans les chaînes de valeur internationales. Il en découle que, malgré sa grande ouverture au commerce mondial, les mouvements de devises y seront finalement moins douloureux que pour un pays de la zone euro a priori moins ouvert.
En conclusion, le lien entre mouvements de change et croissance économique/profit des entreprises n’est pas trivial. Avec la volatilité actuelle des taux de change, nous évitons donc d’investir sur un marché spécifique de la zone euro et préférons profiter des tendances sectorielles que nous avons identifiées :
- Demande domestique solide dans la zone euro : nous favorisons les financières, les télécoms et de plus petites activités comme les services aux entreprises et l’infrastructure ;
- Rebond des matières premières : nous misons sur le secteur de l’énergie qui est bon marché et profitera de la stabilisation du prix du pétrole ;
- Sélectivité au sein des valeurs globales. Nous privilégions actuellement l’industrie pharmaceutique et patientons avant de revenir sur des secteurs globaux cycliques.
En bref, une stratégie sectorielle nous semble à ce stade plus pertinente que des choix régionaux intra-européens.
(Voir également notre précédente publication : La geopolitique va si mal et l’economie si bien. Quels impacts pour les marches boursiers?).
(*) Le taux de change effectif mesure le pouvoir d’achat d’une monnaie par rapport à un panier de devises des principaux partenaires de la zone euro.